Coronavirus à Marseille : A la Timone, la seconde vague déferle dans l’incertitude générale
REPORTAGE•Le service de réanimation de la Timone à Marseille, où sont pris en charge des malades du coronavirus, a ouvert ses portes à 20 Minutes, laissant entrevoir une situation complexeMathilde Ceilles
De notre envoyée spéciale à l’AP-HM,
« Au début, tu ne voulais pas y croire, à la seconde vague, tu te souviens, Sophie ? » Entre deux portes du deuxième étage de la Timone, entre deux patients, les yeux bleus perçants qui surplombent le masque de l’anesthésiste-réanimatrice acquiescent. « Je ne sais vraiment pas ce que ça va donner, abonde Sophie Cataldi, la cinquantaine, dont une vingtaine d’années passées entre ces quatre murs. Quelle sera notre vie dans trois mois ? Je ne connais pas la réponse. »
Depuis la mi-août, la seconde vague de coronavirus est une réalité palpable pour les soignants de ce service réanimation de l’AP-HM, qui prend en charge des patients atteints du Covid-19. « On a des arrivées tous les jours ou presque, témoigne Alexandra, une infirmière. Et des malades du coronavirus, on va en garder tout le temps, je pense… » Le 14 août dernier, l’AP-HM comptait 3 malades atteints du Covid-19 en réanimation. Le 28 septembre, elle en comptait 50.
« Qu’on arrête de me dire que le coronavirus est une maladie de vieux »
Lionel Velly, médecin anesthésiste réanimateur, arpente les couloirs étrangement calmes. « Ici, on ne court jamais, sauf s’il y a un arrêt cardiaque », explique-t-il. Sous ses yeux, un défilé de chambres, ou des boxes comme on dit ici, presque toutes occupées de corps en lutte, de regards hagards quand ils ne sont pas clos.
« Lionel, ça va pas bien du tout pour M. B. », souffle un interne. Un peu plus loin, derrière la vitre, sur le lit blanc, un homme presque immobile, le visage tuméfié, bardé de tuyaux qui permettent d’oxygéner son sang. « 49 ans, lâche Lionel Velly. La case antécédent médical est vierge. Et c’est l’un des cas de Covid les plus inquiétants qu’on a ici en ce moment. Alors qu’on arrête de me dire que le coronavirus est une maladie de vieux qui touchent que les grabataires ou les Ehpad. »
« Ça fait vingt jours que je suis là »
Ici, le patient le plus âgé a 78 ans. Mais la majorité des patients hospitalisés pour coronavirus est âgée entre 50 et 60 ans environ. Et une grande partie d’entre eux a participé, quelques jours avant leur admission en réanimation, à un mariage ou une réunion de famille, selon le docteur Velly.
Le médecin ouvre la porte d’un autre box pour saluer un homme aux traits tirés, entouré de machines. Depuis qu’il a contracté le coronavirus, ce patient a perdu 70 % de ses capacités pulmonaires. « Ça fait vingt jours que je suis là, ça commence à faire, hein, docteur ? », tente-t-il de plaisanter. Vingt jours qui, pour certains, peuvent devenir des mois. Une situation qui entraîne, peu à peu, la saturation d’un système hospitalier déjà fragile. Ce jour-là, au deuxième étage, il ne reste déjà plus que deux lits de disponibles.
« Si on continue à ce rythme, on n’y arrivera pas »
Alors, les soignants tentent de s’adapter, trouver des nouvelles places, créer de nouveaux lits de réanimation pour les malades du Covid…. Et les autres. A quelques mètres de là, un patient sort enfin de réanimation. Le box ne va rester vide qu’une poignée de minutes. Dans le couloir d’en face, des infirmières transforment un box classique en box de réanimation Covid, en l’équipant notamment des respirateurs que l’AP-HM a acquis pendant le confinement. Une sorte de système D pour faire face à l’urgence…. Mais qui a ses limites.
« Pour des patients Covid, il faudrait théoriquement une infirmière pour deux patients, explique Lionel Velly. Mais on n’y arrive pas ! On pourrait doubler notre capacité d’accueil en un claquement de doigts. On a le matériel. Mais on n’a pas le personnel. Si on peut ouvrir deux lits ce soir, c’est qu’on a eu aujourd’hui de nouvelles recrues ! Mais si ça continue à ce rythme, sans le personnel, on n’y arrivera pas. »
Compte tenu de l’urgence, l’AP-HM a lancé il y a quelques semaines une vaste campagne de recrutement. Mais une centaine de postes sont encore à pourvoir, En attendant, il faut donc multiplier les gardes, et faire face, une fois de plus. « Pendant la première vague, je partais à 7 heures et je rentrais à 21 heures, se souvient Lionel Velly Les applaudissements, je ne les entendais qu’à la télévision ». Dans la petite salle de repos, les soignants ont gardé les dessins, les banderoles et les petits mots de remerciement donnés par des anonymes lors de la première vague. « Mais moi, je n’aime pas qu’on nous plaigne, peste Sophie Cataldi. Contrairement à d’autres, dehors, ici, on a un travail. Il y a bien pire que nous. »