«Le Secret de la sauce samouraï»: Un film amateur évoque la gentrification en cours à Marseille
COLLABORATIF•Tourné à Belsunce avec des jeunes amateurs, ce film collaboratif est une savoureuse comédie au cœur d’un sujet d’actualité : la question de la gentrification du centre-ville de MarseilleCaroline Delabroy
L'essentiel
- «Le Secret de la sauce samouraï » est le premier long-métrage porté par la compagnie Mémoires vives qui mène des ateliers de création dans les quartiers.
- Sur le ton d'une comédie liant kung-fu, rap et cuisine, il illustre à la fois un ABCD de la gentrification en marche et l’entrée en résistance de collectifs.
- Le film a entièrement été tourné à Belsunce. Il est diffusé jeudi 25 avril au cinéma Le César à Marseille.
Cela tchatche dur devant le théâtre de l’Œuvre, jolie salle à l’italienne du quartier Belsunce à Marseille. Dans quelques minutes, Karim, Djovany, Cyrine et les autres vont découvrir le long-métrage dans lequel ils ont tourné l’été dernier. Pour l’heure, c’est le moment des selfies de groupe devant l’affiche du film, au titre prometteur : Le Secret de la sauce samouraï. Les rires, les vannes fusent. « Tu vois là, c’est écrit Paramount, Universal ! » En fait de producteur, le long visage de l’Abbé Pierre se pose en logo. Sa fondation est l’unique financeur de ce projet collaboratif né lors d’ateliers théâtre, rap et écriture que la compagnie Mémoires Vives a l’habitude de mener dans les quartiers nord.
« La sauce n’a pas pris à la Busserine, on est venus ici un peu comme des réfugiés politiques », annonce en préambule Yann Gilg, directeur artistique de la compagnie. Une pique à peine voilée envers la mairie de secteur, tenue par Stéphane Ravier (RN). Qu’à cela ne tienne, le projet s’est (re) lancé à Belsunce, quartier populaire du centre-ville de Marseille, séparé de Noailles par la Canebière. « Cette idée a pris tout son sens ici, c’est un film presque prémonitoire », ajoute celui qui a donné carte blanche au réalisateur Benjamin Prat. Il s’en est donné à cœur joie dans les références aux films de genre, avec cette envie de départ : « On va faire un film de kung-fu qui parle de rénovation urbaine. »
Le pitch de l’histoire ? Le cabinet Babylon déboule dans le quartier pour mener une pseudo-consultation sur la construction d’une résidence de luxe. A l'issue des expropriations, la promesse d’un quartier apaisé: adresses bios, aspirateurs à bobos (toute ressemblance avec des faits réels…). Au snack du coin, un jeune héros, fan de web-série (celle qu’il tourne avec deux acolytes est un savoureux film dans le film), décide d’entrer en résistance. Mais pour combattre « le kung-fu de la main invisible », il lui faut acquérir tous les secrets du « kung-fu du kebab ». On vous voit sourire, mais derrière cet apprentissage traité avec humour – on rit beaucoup dans ce premier long-métrage - le propos se fait bien plus politique qu’il en a l’air.
« Le fast-food, cela fait partie de notre mode de vie »
A Marseille, on ne joue pas avec les snacks. « C’est comme si tu étais à la maison, tu es bien, avec tes potes, tu fais le bruit que tu veux », sourit Djovany, 21 ans, qui a découvert à l’écran son potentiel comique – c’est lui qui incarne le jeune « Jedi ». « Ici en ville, c’est populaire, on voit les paraboles dehors, le linge qui sèche aux fenêtres, je n’ai pas envie que ça change, continue Mehdi, 20 ans. Tout ce qui est fast-food, cela fait partie, à nous les jeunes, de notre mode de vie. » On lui doit les passages de rap dans le film, dont celui-ci où il attaque : « Solange Biaggi/Robert Ménard/Même combat contre les kebabs ».
Car Le Secret de la sauce samouraï fait appel à tous les talents de ses jeunes comédiens et comédiennes, comme Daniel fan de parcours, ou Cyrine qui fait du théâtre depuis ses 13 ans et « a surkiffé le cinéma ». « On a beaucoup ri sur le tournage, j’en garde un super souvenir. Et en même temps, on montre que c’est un sujet important par rapport au centre-ville de Marseille, dit-elle. Cela passe mieux avec la comédie qu’en étant sérieux ». Le film doit être diffusé jeudi 25 avril au cinéma Le César à Marseille. En attendant d’autres dates qui, on l’espère, arriveront. Car un film associatif qui, avec ses jeunes acteurs, en dit long sur Marseille et le combat de certains collectifs contre la gentrification en marche, ce n’est pas rien.