VIDEO. Grève des éboueurs à Marseille: «Ça fait trente ans que c'est la même chose», peste un ancien syndicaliste
INTERVIEW•Pour l’ancien syndicaliste Pierre Godard, cette énième grève à Marseille s’explique par un dialogue social défaillant et par « un déficit de sens du service public »…Propos recueillis par Jean Saint-Marc
L'essentiel
- Les salariés de Derichebourg sont en grève depuis mercredi, à Marseille. Ils réclament le maintien de primes.
- Après avoir paralysé la collecte dans toute la ville, ils viennent de débloquer les centres de transfert, mais la grève continue dans les 2e, 15e et 16e arrondissements.
- Pour l’ancien syndicaliste Pierre Godard, qui a écrit un livre sur le sujet, ce conflit est « un grand classique. »
Les grèves des éboueurs, à Marseille, c’est plus qu’un cliché : d’ailleurs, ces images d’ordures qui s’entassent s’affichent même sur des cartes postales. Marseille « est vraiment scrutée sur cette question-là », note l’ancien éboueur Pierre Godard. Cet ancien syndicaliste (CGT, CFDT puis SDU-FSU) a publié en 2014 l’ouvrage Eboueur de Marseille, entre luttes syndicales et pratiques municipales (éd. Syllepse), avec le sociologue André Donzel. Pierre Godard livre son regard sur ce énième conflit, qui concerne cette fois la société Derichebourg.
Pour vous, est-ce que c’est un conflit social classique ?
Complètement ! Dans le bouquin, on notait que les six dernières grèves dans le secteur privé avaient eu lieu à l’occasion des renouvellements des marchés. C’est exactement ce qu’il se passe (Derichebourg a repris les contrats de Veolia et de Nicollin, et donc leurs salariés). C’est un grand classique : les sociétés exigent des gains de productivité…
En l’occurrence, les salariés réclament le maintien de leurs anciennes primes et Derichebourg affirme que le nouveau mode de calcul est tout aussi avantageux pour les salariés…
J’ai pris du recul, je n’ai plus le nez dans les conflits, mais ne pas avoir anticipé que des salariés à régime de prime différents dans la même boîte, ça allait poser problème… C’est dingue ! Ça fait trente ans que c’est comme ça. Et les boîtes profitent de ces renouvellements pour gratter par-ci par-là, supprimer quelques camions, par exemple.
Pensez-vous qu’il peut y avoir d’autres revendications de la part des éboueurs ?
48 heures de grève sur des machins biscornus, des grèves qui cachent un truc, je connais, j’ai vu ça. Quand le délégué veut faire rentrer un copain, que le chef lui dit non, on lui cale un coup de pression, très bien. Là, y a forcément autre chose ! On ne bloque pas les centres de transfert (débloqués ce mardi), on ne va pas à ce point au conflit pour rien.
Pourquoi les grèves des éboueurs sont-elles aussi fréquentes à Marseille ?
Effectivement, il y en a plus à Marseille, mais on exagère toujours cette spécificité. Il faut mettre cette conflictualité avec la manière dont le pouvoir politique gère ses relations sociales. Car ça retombe toujours dans ses mains, même pour les opérateurs privés, car c’est la métropole qui finance ! Et le dialogue social à Marseille est très mal géré. Ce système de cogestion avec Force ouvrière (dont le maire, Jean-Claude Gaudin, est très proche) n’est pas du tout efficace ! Il l’est peut-être pour les élections, mais c’est tout…
Les agents n’ont-ils pas une part de responsabilité ?
Il y a effectivement, à Marseille, un déficit dans le sens du service public chez les salariés. On a un encadrement de base qui est formé dans le système, par le système. Les métropoles qui s’en sortent avec les ordures, comme Nantes par exemple, sont celles qui parviennent à maintenir un sens du service public chez leurs employés !