#Moijeune: Adrien Sergent, du savon de Marseille au «poussin» à Bercy
SOCIETE•A 23 ans, Adrien Sergent est un autoentrepreneur et un citoyen hyper-actif...Journaliste afp
Il vit encore chez sa mère. Et sur la messagerie de son portable, c’est encore sa mère qui invite à laisser un message. Pourtant, Adrien Sergent n’a rien d’un frileux ou d’un Tanguy. A 23 ans, le jeune homme a déjà interpellé, avec un certain succès, le monde politique, les chefs d’entreprise, les journalistes et même les juges. Des jeux vidéo au savon de Marseille, en passant par les plateaux de Canal + et la salle d’audience du tribunal correctionnel, il aligne déjà un cursus hors norme, surtout pour un autodidacte.
Adrien Sergent a arrêté l’école à 16 ans parce qu’il « n’y épanouissait pas ». Sans diplôme, ni formation diplômante, il s’investit alors dans sa passion, plutôt banale pour un adolescent : les jeux vidéo. Ce qui l’est moins, en revanche, c’est qu’il en fait immédiatement son métier en montant son propre studio de développement. En novembre 2009, il devient ainsi le premier auto-entrepreneur mineur de France. Sous sa direction, Digitale Wave Studio produira au total une douzaine de jeux vidéo.
Sauver le patrimoine
Trois ans plus tard, Adrien Sergent fait parler de lui pour la première fois dans les médias en prenant la défense de la Savonnerie du fer à cheval, l’une des dernières savonneries artisanales de Marseille, placée quelques mois auparavant en redressement judiciaire. À l’époque, il évoque « un acte citoyen pour sauver (…) notre patrimoine ». Le jeune homme lance une pétition sur Internet qui recueille 21.000 signatures et plusieurs articles dans les médias (dont 20 Minutes). Un premier succès (d’estime) qui va lui donner des idées quelques mois plus tard.
En 2013, la ministre du commerce et de l’artisanat Sylvia Pinel présente un projet de loi réformant le régime des autoentrepreneurs. Adrien Sergent repart aussitôt en campagne et crée le Mouvement des Poussins (dans la lignée des Pigeons qui protestaient contre la hausse des cotisations sociales). Nouvelle pétition sur Internet. Cette fois, le succès est national. Adrien Sergent enchaîne les interviews pour les journaux, les radios et même les télés. Le « poussin » se retrouve même sur le plateau de la Nouvelle édition de Canal +.
Poursuivi pour diffamation
Au bout de 143.000 signatures, il est enfin reçu au ministère de l’Economie. Puis, le député Laurent Grandguillaume, chargé de déminer le conflit par le Premier ministre, l’appelle pour travailler le texte. Finalement, le gouvernement recule et ne modifie pas profondément le statut d’autoentrepreneur, comme le souhaitait une partie du patronat. Cette mobilisation réussie « prouve que l’on peut changer les choses face au gouvernement et aux syndicats », dit aujourd’hui Adrien Sergent.
Le jeune homme poursuit sur sa lancée et lance la même année une troisième pétition contre le principe forfaitaire de la contribution foncière des entreprises (CFE). Résultat : 64.000 signatures. Le forfait de la CFE demeure. Adrien Sergent ne gagne pas à tous les coups mais il est désormais convaincu que les citoyens ne souhaitent plus se mobiliser au sein des corps intermédiaires traditionnels. « Les gens aiment toujours la politique mais n’ont plus les moyens d’intervenir, explique-t-il. Internet offre justement cette possibilité ».
Sans autorité ni hiérarchie
Alors, il repart. Cinquième pétition en 2015. Dans la bataille sur la rédaction du cahier des charges de la future l’IGP (indication géographique protégée), il prend ouvertement le parti des savonneries traditionnelles. Résultat, il est renvoyé au tribunal correctionnel par l’Association des fabricants de savon de Marseille (AFSM) qui le poursuivent pour diffamation. A l’audience, il n’est pas défendu par n’importe quel avocat mais par Philippe Chaudon, un des meilleurs pénalistes à Marseille. Il est relaxé.
Adrien Sergent s’inspire notamment des travaux du sociologue américain Saul Alinski, qui a conceptualisé les notions d’organisation communautaire et de lutte d’influence (empowerment), en les appliquant à Internet. Il a donc créé Entrepreneo.fr, le « premier magazine participatif des entrepreneurs » qui est « un peu comme le Plus de l’Obs », précise-t-il. Il possède aussi un blog personnel, la passion de Marseille, et vient de relancer un « blog citoyen » : le Mistralien.
Pas de vote
Pour lui, la citoyenneté s’exprime aujourd’hui plus facilement sur Internet qu’il décrit comme une immense agora où les citoyens peuvent se rencontrer, se mobiliser et donner leur avis, sans autorité ni hiérarchie. Sollicité à droite comme à gauche après son expérience des Poussins, Adrien Sergent n’a pas donné suite. Les partis politiques fonctionnent en « vase clos » et sont « un peu sectaires, explique-t-il.
« Et puis, il y a beaucoup de luttes de pouvoir à l’intérieur et ils ne relaient plus les propositions des citoyens », ajoute-t-il. Le jeune homme n’a donc jamais voté. Et il ne votera pas en 2017 pour l’élection présidentielle et les législatives. Et même si un jour, il se rendait dans un bureau de vote, ce serait pour glisser un bulletin blanc dans l’urne. Aux élections, aux partis ou aux syndicats, il préférera toujours Internet, ses communautés et ses réseaux mobilisables en quelques clics.