Aix-Marseille: «Il est impensable d’imaginer Marseille comme un village gaulois»
METROPOLE•Selon Yves Luchaire, professeur de droit public, la métropole Aix-Marseille se fera « cahin-caha mais elle se fera »…Mickael Penverne
Yves Luchaire, enseignant de droit public à l’IEP d’Aix-en-Provence et spécialiste des collectivités territoriales, analyse le démarrage de la métropole Aix-Marseille-Provence officiellement créée le 1er janvier 2016.
Yves Luchaire, spécialiste des collectivités territoriales. - IEP Aix-en-Provence
La maire d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains, considère que la métropole d’Aix-Marseille-Provence « n’existe pas ». Quand pensez-vous ?
La métropole existe puisqu’elle a été créée par la loi (…). Elle a donc une existence juridique. Par contre, elle ne peut rien lancer. Au niveau des projets, tout est bloqué.
Ce blocage peut-il avoir des conséquences pour les 7.500 agents territoriaux, notamment sur leurs salaires ?
L’arrêt du Conseil d’Etat du 18 décembre laisse entendre que les six EPCI (établissement public de coopération intercommunale) qui la composent peuvent continuer – provisoirement – à payer les agents territoriaux. Les fonctionnaires n’ont donc pas d’inquiétude à avoir pour leur salaire. De toute façon, la créance est certaine. Au pire, s’ils n’étaient pas payés, ils pourraient faire un recours pour refus de paiement.
Le Conseil constitutionnel doit se prononcer en février sur la représentation des communes au sein du conseil de métropole. Et le tribunal administratif de Marseille devrait se prononcer sous huit jours sur l’élection du président. Que peut-il se passer désormais ?
Il faut attendre la décision du Conseil constitutionnel. Ce qui pose problème, c’est la surreprésentation de Marseille au sein du conseil de métropole qui a été introduite avec l’amendement Gaudin (Marseille compte 106 représentants). Si cet amendement est déclaré non-conforme à la Constitution, il faudra revoir la répartition des sièges, et donc revoir l’élection du président.
« La décision du Conseil d’État ne remet pas en cause la création, par la loi, de la #Métropole Aix-Marseille-Provence au 1er janvier 2016 — Jean-Claude GAUDIN (@jcgaudin) December 18, 2015 »
Cette métropole semble très mal partie…
Oui mais c’est un combat d’arrière-garde parce qu’à un moment donné, on arrivera bien à un déblocage de la situation. Ils existent, ou vont exister, 13 métropoles en France. Partout, cela se passe normalement - sauf à Marseille. Le fait métropolitain est une réalité. C’est une réalité en France mais aussi en Europe. Cela va dans le sens de l’évolution des intercommunalités. Il n’y a qu’ici que se posent un certain nombre de problèmes.
A quoi sont-ils dus ?
Il y a d’abord le retard pris dans l’intercommunalité depuis que Gaston Deferre a refusé de créer une communauté urbaine en 1966. Il n’y a pas d’esprit d’intercommunalité. Et puis, il y a la rivalité entre Aix et Marseille qui a toujours existé. Quels que soient les maires, qu’ils soient de droite ou de gauche, les élus de ces deux villes, que ce soit Gaston Deferre et Félix Ciccolini, ou Jean-Claude Gaudin et Maryse Joissains, ne se sont jamais entendus. On peut enfin évoquer les différences sociologiques entre ces deux villes : commerçantes et populaires pour Marseille, intellectuelle et bourgeoise pour Aix-en-Provence.
Mais pourquoi cette métropole est-elle contestée de manière si virulente ?
Elle est un cas particulier parce que Marseille représente à elle seule la moitié de ses habitants (1,8 million au total). Il existe une emprise démographique de la ville sur le territoire. Et puis, la métropole représente une nouvelle forme d’administration territoriale - qui est en marche depuis longtemps d’ailleurs. On est en train de passer d’une administration territoriale avec un conseil exerçant ses compétences sur un territoire bien défini, à un système plus transversal avec des administrations inter-services et de nombreuses mutualisations. Cette mutation est difficile parce que les autorités locales perdent une forme d’exclusivité sur leur territoire.
« Metropole : @prefet13 vide les caisses des EPCI au mépris de la décision du @Conseil_Etat et sans attendre la décision du @Conseil_constit ! — maryse joissains (@marysejoissains) December 29, 2015 »
La métropole se fera selon vous ?
Elle se fera. Cahin-caha, avec peut-être des larmes, mais elle se fera. Il est impensable d’imaginer Marseille comme un village gaulois qui résiste. Depuis 1966 et la création des communautés urbaines, toutes les majorités, de droite et de gauche, sont allés dans le sens de cette réforme (…). Je suis persuadé qu’à un moment donné, les choses vont se débloquer. Le pacte de solidarité financière, qui assure la répartition des ressources entre les communes, servira peut-être à apaiser les choses. Et puis, il ne faut pas oublier que les plans locaux d’urbanisme seront de la compétence des conseils des territoires et non du conseil de métropole. Après, il faudra peut-être attendre un changement de génération (…). Mais je suis sûr que dans 20 ans, on ne comprendra pas ce qui se passe ici.