FAITS DIVERSMarseille: Le point sur l'enquête dans le dossier des tirs à la Castellane

Marseille: Le point sur l'enquête dans le dossier des tirs à la Castellane

FAITS DIVERSQue s'est-il passé? Comment travaille la police?...
Amandine Rancoule

Amandine Rancoule

Le procureur de la République de Marseille, Brice Robin, a fait le point ce vendredi sur les événements survenus le 9 février à la Castellane (16e). Ce matin là, alors que Manuel Valls, le Premier ministre, est attendu à Marseille, des rafales de kalachnikovs sont tirées sans faire de blessés au cœur de la cité. Non loin, dans la nuit du 14 au 15 janvier, un homme de 25 ans a été abattu d'une balle de 9 mm dans la tête.

Quel est le rapport entre la visite de Manuel Valls et les tirs ?

Aucun. Le procureur de la République est formel: il s’agit d’un concours de circonstances. «Les événements sont déconnectés» les uns des autres, assure Brice Robin.

Des tirs ont-ils visé la police ?

Oui. Peu après 9h30, des habitants de la Castellane entendent des tirs dans la cité. Inquiets pour leur sécurité, ils appellent la police. Des patrouilles de la sécurité publique arrivent rapidement sur place, dont Pierre Marie Bourniquel, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP). Les effectifs de police se divisent alors en deux. Les voitures de police investissent la cité par les deux entrées: le boulevard Barnier et le chemin de Bernex puis la rue des Ombrelles. Le premier groupe de policiers essuie alors des tirs de la part d’individus cagoulés et armés de kalachnikovs. Selon le procureur, deux tireurs font feu à plusieurs reprises dans leur direction. Trois policiers s’éjectent d’une voiture pour se plaquer au sol. Au même moment, les policiers entrés par l'autre accès, sont également pris pour cible «Ils ont dû se cacher dans un renfoncement d'immeuble», précise le magistrat. Des coups de feu sont aussi tirés en l’air mais des impacts de balles sont bel et bien retrouvés plus tard dans le talus qui surplombe les véhicules de la police.

Quel était le plan des trafiquants avant l’intervention de la police?

Selon les premiers éléments de l’enquête, confiée à la brigade criminelle de la police judiciaire de Marseille, il s’agit d’une lutte de clans pour prendre le contrôle du territoire. Un commando armé et habillé de combinaisons sombres, descend le matin du 9 février de la Jougarelle, du nom d’une avenue en haut de la cité la Castellane. Composé d’une dizaine de personnes, ce commando veut prendre le juteux plan stup de la tour K. Le réseau de la tour K ne se laisse pas faire : des hommes armés et en treillis militaires attendent au pied de la tour. L’arrivée de la police empêche l’affrontement entre ces deux bandes rivales.

Pourquoi des coups de feu ont été tirés avant l’arrivée de la police?

Le procureur annonce qu’un témoin, un ancien militaire, raconte avoir vu deux hommes arrivés au pied de la tour K dans une Audi. Ils sortent et tirent «une ou deux rafales de kalachnikovs» vers 9h37. Ils s’enfuient à bord de cette Audi. Ni la voiture, ni les étuis ne sont retrouvés. Avec ces tirs, les trafiquants de la tour K auraient ainsi prévenu les trafiquants de la Jougarelle qu’ils ne se laisseraient pas faire.

Pourquoi vouloir prendre le trafic de la tour K?

Depuis juin 2013, l’équipe de la tour K est affaiblie. Sous la direction de Christian Sainte, alors patron de la PJ marseillaise, une opération sur cette tour a permis l’arrestation de plusieurs personnes et la saisie de plus de 1.39 million d'euros en petites coupures de 10, 20 ou 50 euros.

Il existerait plusieurs réseaux à la Castellane, au moins trois. C’est le lieu le plus rentable de la ville. D’après le procureur, il rapporte entre 40 et 50.000 euros de chiffre d’affaires par jour.

Qui sont les individus du commando de la Jougarelle?

Pour arriver à prendre la tour K, les têtes de trafic de la Jougarelle embauchent « une équipe de gens issus du Kosovo», explique le procureur. Ce sont eux qui auraient tiré sur la police.

«Ce commando d’Europe de l’Est est une première, c’est totalement inédit, affirme Fabrice Gardon, le directeur interrégional adjoint de la police judiciaire de Marseille. Ils ont peut-être embauché ces gens pour garder une certaine confidentialité, pour éviter que des gens de la cité trahissent» le plan. Mais les trafiquants de la tour K ont quand même eu «vent de l’OPA», puisqu’ils étaient armés et en treillis au pied de la tour. « Il y a plusieurs signes de tensions à la Castellane depuis l’affaiblissement du réseau de la tour K», souligne Brice Robin.

Comment la police est remontée jusqu’à eux ?

Grâce aux empreintes ADN. Le 9 février dans l’après-midi, la police retrouve sept kalachnikovs et plusieurs kilos de cannabis dans un appartement de la cité. Armes, munitions de kalachnikovs, étuis percutés sont aussi retrouvés dans une BMW série 3 coupée, garée sur le parking jouxtant l’appartement.

Dans ce logement vivent deux couples. Placés en garde à vue, ils sont finalement relâchés sans aucune charge contre eux. Ils se seraient fait expulser de leur logement manu militari par le commando de la Jougarelle. «Pour sortir de la cité, encerclée très vite par la police et investie par le GIPN, les membres du commando enlèvent les combinaisons, les gilets pare-balles, et les cagoules dans l’appartement et laissent tout sur place, raconte Fabrice Gardon. Ils laissent donc des traces ADN dans les vêtements, c’est forcé que l’on remonte jusqu’à eux».

Sur place, 900 prélèvements biologiques sont effectués, 700 traces papillaires sur des cigarttes sur des canettes... sont relevées et une centaine d’analyses de résidus de tirs sont faites. Au total, huit profils sont identifiés grâce aux empreintes: 7 hommes et une femme. «C’est aussi l’originalité de ce dossier. Il semblerait que cette femme de 18 ans est suivie son homme», souligne le procureur.

Avec leur connaissance du terrain, la police met de suite en place des surveillances sur les proches des personnes qu’elle soupçonne d’avoir pris part à l’affrontement avorté. Bientôt, les résultats d’analyse viennent conforter leurs sentiments. Les filatures des proches conduisent notamment à l’arrestation en Seine-Saint-Denis de deux présumées têtes trafic de la Jougarelle. La police a aussi la chance de son côté: deux personnes, des Kosovars, «recrutés en Allemagne» par le duo de la Jougarelle, sont arrêtés alors qu’elles tentent de se brancher illégalement à un compteur EDF dans le 15e arrondissement de Marseille. Trois autres sont arrêtées lors d’un contrôle dans un salon de thé du 3e arrondissement. Elles sont encore en garde à vue.

Où en est l’enquête?

Pour le moment, la police a arrêté huit individus «directement concernés par cette affaire», dont plusieurs Kosovars et parmi eux, la jeune femme de 18 ans. Trois sont encore en garde à vue. Les autres, dont les deux individus arrêtés en région parisienne et perçus comme les commanditaires de l'opération de reconquête par les enquêteurs, ont été écroués. D‘autres personnes sont encore recherchées.