Ingress ou comment je suis devenu hackeur et marcheur compulsif

Ingress ou comment je suis devenu hackeur et marcheur compulsif

Romain Gouloumes

Romain Gouloumes

JEU MOBILE - Imaginez Google Maps transformé en terrain de bataille. C’est l’expérience proposée par Ingress, un jeu massivement multijoueur en réalité augmentée qui fait marcher et découvrir de nouveaux recoins de sa ville.

Je tourne fièrement mon smartphone vers mon supérieur. Ce matin là, avant d’arriver à la rédaction, j’ai fait mien le portail des Galeries Lafayette. Pas vraiment de quoi fanfaronner non plus. Sur Ingress, pour peu que la position ne soit pas aux mains d’un puissant ennemi, quelques secondes suffisent à y planter son drapeau. Il n’empêche, apposer sa marque sur des monuments et autres lieux de notre quotidien a quelque chose de gratifiant. Un peu comme un chien marquant un poteau qui sait que les suivants devront monter plus haut.

Evidemment, tout cela est virtuel. Edité par Google et disponible uniquement sur Android (en bêta ouverte jusqu’au 14 décembre), Ingress est un jeu en réalité augmentée où deux factions, Résistance et Eclairés, se disputent une ressource extraterrestre. Favorable au progrès, même venu d’une autre planète, j’ai peu hésité et opté pour les seconds. Mon entraînement (un court mais indispensable didacticiel) d'agent expédié, les choses sérieuses commencent. A côté de moi, James Bond passe pour ringard. A l’époque des hackers et des virus, mon smartphone, où se déploie une carte interactive de la capitale, remplace avantageusement le meilleur Walther PPK.

Une incitation à la marche

Sorti du métro, mon écran vire au bleu. Le quartier Opéra est un bastion de la résistance depuis longtemps. Chaque fois que je passe à moins de 40m d’un portail, mon index presse le bouton « hack ». Si l’opération réussit, je repars avec quelques points d’expériences, et des objets pour renforcer mes positions et attaquer celles de l’adversaire. Les portails neutres sont affichés en blanc. C’est mon second jour comme agent et, à la sortie des bureaux, j’ai repéré un espace vacant et deux à renforcer. Ils ne sont pas vraiment sur mon chemin mais c’est là qu’Ingress fait fort. Laisser un portail dans cet état, c’est donner une chance à l’ennemi.

Opéra, bastion de la résistance.

Alors, que fait le joueur ? Il marche. En tout et pour tout, il m’a fallu bien 30 minutes pour les rallier à ma cause, les protéger et les unir. Dans la seconde qui a suivi, un triangle vert s’est élevé autour de l’arrêt de métro pyramides. C’est la superficie de ces zones contrôlées, et la quantité d’esprits qu’elles représentent, qui départagent Résistants et Eclairés. Galvanisé par la réussite, je rentre chez moi avec le sentiment du devoir accompli… non sans hacker quelques portails au passage. Quite à faire 10 000 pas tous les jours (ainsi que le recommande l'OMS) autant que ça serve à quelque chose.

Je moissonne matin et soir, méthodiquement. Mais les points montent trop lentement. Je suis parvenu à contrôler deux nouvelles zones dans mon quartier, que j’ai aussitôt perdues du haut de mon niveau 3. Pour progresser, le plus rapide est encore de se regrouper. Les factions communiquent allègrement sur l’application mobile, mais les opérations de grande envergure, et les rendez-vous, s’organisent en ligne.

Des factions très organisées

Ceci dit, on n'entre pas dans le groupe Google+ des Eclairés comme dans un Apple Store. Les deux groupes se livrent une lutte sans relâche, aussi les menaces d’espionnage inter-faction sont-elles prises très au sérieux. Mettre un espion adverse dans la confidence, c’est risquer gros. Postuler, en revanche, n’est pas bien compliqué. Les profils Google+ des nouvelles recrues sont vérifiés par des modérateurs, qui valident l’inscription.

Le quartier Dugommier après une moisson avec un niveau 8.

Pseudo, niveau, lieux d’activité… comme partout quand on intègre un groupe en ligne il est de coutume de se présenter. L’accueil, en retour, est extrêmement chaleureux. Comme me l’expliquera un joueur arrivé depuis plusieurs semaines au niveau maximum : « Une fois que t’es niveau 8, tout l’intérêt du jeu est de rencontrer des gens sympas et de les former. C’est aussi une belle occasion de sortir de chez soi. » C’est ainsi que je me retrouve à 19h30, arrêt Dugommier, à faire du « level up » avec un inconnu durant une heure et demie. Lui revient régulièrement, après le boulot, pour saper le moral des troupes adverses ou, comme ce soir, former la bleusaille aux rudiments du hacking. Comme World of Warcraft réunit des dizaines de joueurs dans de trépidants raids en ligne, Ingress rassemble les joueurs dans le froid des soirées parisiennes pour raser des portails virtuels et gagner des points qui le sont tout autant.

Six jours déjà que je mène cette double vie. Mes déplacements n’ont plus rien à envier à un film de science-fiction. Pas un portail sur mon passage n’échappe à mon incessant picorage, et chaque station perdue est une douleur. Même si ce n'est que le début, l’interface de mon smartphone me renvoie un état de service éloquent : en moins d’une semaine j’ai hacké 189 portails dans cinq arrondissements différents, gagné 4 niveaux, rencontré deux agents alliés, et marché 11 kilomètres. Mon supérieur, lui, me regarde toujours aussi bizarrement.

Romain Gouloumès