Gamer pro, une vie qui demande «beaucoup de sacrifices»
Portrait•Le champion de sport électronique Kévin Georges, aka «Broken», nous parle de son quotidien et de ses débuts...Thierry Weber
A 15 heures, c’est une voix ensommeillée qui répond au téléphone. «Allô…?», «Bonjour, Thierry Weber du quotidien 20 Minutes, je ne vous dérange pas?» Silence au bout du fil, puis «euh…. Je me réveille.» On prend les mêmes et on recommence, un quart d’heure et un café plus tard. «En général, j’essaie de me réveiller vers midi», explique Kevin Georges. Mais la veille au soir, le jeune homme de 24 ans avait un match de Call of Duty et on ne plaisante pas avec le travail.
Kévin, plus connu sous le pseudonyme Broken, est un pro gamer, un champion de sport électronique. Il gagne sa vie grâce au jeu vidéo Call of duty (entre 2.000 et 4.000 ou 5.000€ bruts par mois) auquel il joue plusieurs heures par jour. «A 19h-20h, c’est le début de l’entraînement, jusqu’à minuit-1h. On fait ça cinq à six fois par semaine. Quand un tournoi approche, l’intensité des entraînements change. On commence plutôt à 18h, jusqu'à 2 ou 3h du matin, et c’est tous les jours», prononce le jeune homme.
«Je ne jouais pas que pour m’amuser»
A 24 ans, Kévin 'Broken' Georges gagne sa vie en jouant à Call of Duty. - © Team Vitality
Une vie de rêve? «A force on peut être un peu lassé de jouer toujours au même jeu», admet-il. Il faut dire aussi, Broken et Call of duty c’est une histoire de plus de 10 ans. «Je m’y suis mis sérieusement quand j’avais 15 ans. Quand j’ai connu Call of duty: modern warfare, j’ai demandé une Xbox 360 pour Noël, et c’est parti comme ça. J’essayais d’être bien placé dans les classements en ligne, je ne jouais pas que pour m’amuser», se souvient le gamer.
Il a fini par tellement passer de temps avec sa console qu’ «à l’école c’était devenu un calvaire». A tel point que sa mère «en a eu marre». Direction les Etats-Unis, sans console, pour passer le bac et commencer les études. Alors qu’il rentre en France au bout de deux ans afin de voir ses amis et sa famille, le jeune homme «touche un peu la manette pour voir [s’il] était pas trop rouillé», et décide de s’inscrire à un tournois. Deux ans d’abstinence vidéoludique ne l’empêchent pas de remporter la compétition et de se faire repérer par la première équipe pro française, Millenium.
«Chez Millenium, j’ai eu un contrat de base. Il n’y avait pas encore de statut de joueur pro à l’époque, donc nous avions tous un statut d’auto-entrepreneur. On devait facturer pour être payé.» Problème pour Broken, chez Millenium, «ça a vite tourné au cauchemar. Il y avait trop de grosses têtes. Personne ne pouvait nous gérer tous». Son passage dans la team se fait éclair, mais qu’importe. Entré dans le monde pro, il allait y rester. «Je suis parti dans une autre team, aAa et à partir de là avec Gotaga [gamer] et Néo [manager] a décidé de créer notre propre structure», la team Vitality.
« .@eswc_fr On participe ! #ESWC pic.twitter.com/K2P3wCqwIK — Vitality (@Team_Vitality) 12 avril 2016 »
«On connaît très bien nos adversaires»
Tout au long de sa carrière, Kévin a remporté plusieurs fois le titre de champion de France, ainsi que celui de champion d’Europe par équipe en 2013. Cette année, avec Vitality, il a participé à l’Electronique sports world cup (ESWC) qui se tenait du 6 au 8 mai dernier au Zenith. En quart de finale, son équipe se fait éliminer par ses anciens partenaires de Millénium. «Une grosse déception.» Mais Broken repart déjà vers l’avant. «Comme on s’entraîne avec des équipes pros, on connait très bien nos adversaires. A chaque fois on essaie d’amener un truc en plus pour changer la donne. A l’ESWC on a eu du mal dans les débuts de partie, donc on va travailler là-dessus, pour limiter les erreurs du début.»
Broken et sa team se font éliminer en quart de finale à l'Electronic sports world cup (ESWC). - © Aurélien Mignerat/Illusion Story/ESWC
Même si sa vie professionnelle demande «beaucoup de sacrifices», Broken ne pense pas encore à changer de voie. Peut-être à changer de jeu? A l’occasion de la sortie du nouveau First person shooter (FPS, jeu de tir à la première personne) développé par Blizzard, Overwatch, nous lui avons posé la question. «Changer de jeu c’est vraiment repartir de zéro. Même un autre FPS, ça n’a rien à voir.» S’il devait se mettre sur Overwatch, faire ses armes lui prendrait environ six mois, en jouant de manière intensive. «Je devrais changer toute ma façon de jouer. Je pense qu’Overwatch c’est un jeu plus difficile, puisqu’il y a beaucoup de personnages différents avec des attaques propres, il faut les connaître tous pour avoir un bon niveau.»
Même si le jeu de Blizzard vient tout juste de sortir, plusieurs teams de joueurs pro l’ont déjà pris en main à l’occasion des versions bêta. Mais Broken, lui, va tout de même attendre encore un peu avant de penser à une reconversion. «Le jeu est tout nouveau, on ne connaît pas tous les modes de compétitions, la scène n’est pas encore bien mise en place», tempère-t-il. Manette en main et fusil d’assaut à l’écran, il espère bien continuer de briller sur Call of Duty, en bénéficiant, cette fois, du soutien de sa mère et de ses amis.