«La Colombie reste le pays numéro 1 en ce qui concerne la cocaïne»
INTERVIEW•Le représentant de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) en Colombie dresse un portrait du marché de la drogue colombien.Petunia James
C’est probablement l’Etat auquel on pense en premier lorsque l’on évoque le cas des drogues illicites… La Colombie a quelque chose de mythique sur le sujet, en témoignent les grands cartels et leurs leaders charismatiques tels Pablo Escobar ou les frères Orejuela qui ont fait sa mauvaise réputation dans les années 1980.
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L’Histoire veut que la chute de ces puissants cartels dans le courant des années 1990 ait entraîné une restructuration du trafic de drogue colombien. Un bouleversement que nous explique Bo Mathiasen, représentant de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) en Colombie.
Quels sont les cartels qui ont repris le flambeau de Medellín et Calí?
Bo Mathiasen. F. Vergara / Sipa
Les plus gros se nomment Usuga Clan (également dénommés Los Urabeños) et le groupe paramilitaire Los Rastrojoros. Ces deux-là ne se contentent pas de trafiquer de la drogue, ils sont aussi engagés dans diverses activités illégales comme l’extorsion de fond. L’Ejército Popular de Liberación (EPL) a aussi pris de l’ampleur ces dernières années. Ils agissent au nord du pays, à la frontière vénézuélienne qu’ils franchissent pour acheter de l’essence vraiment peu chère. Ils s’en servent pour produire et raffiner la cocaïne avant de l’exporter via le Venezuela.
Sont-ils aussi puissants que leurs prédécesseurs?
C’est différent. Après des années d’un intense et difficile combat de la part du gouvernement colombien contre les cartels de la drogue, ces derniers ne sont plus aussi forts qu’ils ont pu l’être. Le trafic de la production colombienne hors de ses frontières est majoritairement géré par les cartels mexicains, qui se chargent de faire passer la drogue aux USA par exemple. Quant à l’Europe, c’est la mafia italienne qui est très impliquée. Depuis le démantèlement du cartel de Pablo Escobar et du cartel de Calí, les trafiquants colombiens n’ont plus autant de puissance à l’international que par le passé.
Les liens aussi bien gouvernementaux qu’illégaux entre la Colombie et les Etats-Unis sont-il toujours d’actualité?
Ils sont très forts. Et le partenariat entre autorités est tout à fait stratégique pour les Etats-Unis, surtout du fait de sa position géographique. L’Etat américain aide la police, la cour et les juges colombiens. Il existe d’ailleurs une coopération judiciaire entre les deux pays qui permet de gérer l’extradition des malfrats de la Colombie vers les Etats-Unis depuis des années. Les Américains soutiennent également des projets de développement, dans le milieu de l’agriculture par exemple pour inciter les producteurs de coca à s’orienter vers d’autres cultures.
Justement, il semblerait que la Colombie soit passée seconde au classement des plus gros producteurs de cocaïne…
Je ne le crois pas. C’est la première, et de loin. Entre 2013 et 2014, la Bolivie est passé de 23.000 à 20.400 hectares quant à la production de la coca. Cette feuille, qui permet ensuite de fabriquer de la cocaïne est également moins cultivée au Pérou qui, dans le même temps que la Bolivie, est passé de 49.800 à 42.900 hectares. De son côté, la Colombie est passée de 48.000 à 69.000 hectares! Ce qui a augmenté de presque 53% la quantité de cocaïne produite sur le territoire. On est passé de 290 à 442 tonnes. Cela s’explique par le fait que les cultivateurs utilisent plus de fertilisants, qu’il y a moins de maladies infestant les plantes mais également par le fait que cette période a bénéficié d’une superbe météo. Les trafiquants investissent aussi les terres des indigènes pour cultiver de la coca sans leur demander leur avis, ils s’implantent dans les parcs nationaux ainsi que dans la forêt amazonienne qu’ils rasent pour ce faire. Il est très difficile de faire cesser cela car ils minent les pourtours des champs et postent des soldats chargés de tuer les indésirables.
Cette nouvelle dynamique de production a-t-elle pour but de conquérir de nouveaux marchés?
Depuis plus de dix ans, la consommation de cocaïne ne fait que baisser aux Etats-Unis et en Europe. Et comme il y a plus de disponibilité, elle se vend moins cher. Le trafic s’est donc tourné vers l’Amérique du Sud, plus particulièrement au Brésil, en Argentine et au Chili. On note également une expansion du marché vers l’Asie avec des pays comme la Chine, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon. L’Afrique est également une des «nouvelles» destinations de la drogue illégale.