Hommes politiques et vie sentimentale, un devoir d'exemplarité?
AMOURS•En France comme aux Etats-Unis, la politique s'insinue jusque dans la chambre à coucher...Thierry Weber
L'essentiel
- En 1988, Gary Hart renonçait à la course à la Maison Blanche à la suite de la révélation d’une relation extraconjugale.
- Depuis, des affaires jusqu’alors privées s’invitent dans le débat public, aux Etats-Unis comme en France.
- Parmi elles, l’affaire Lewinsky est une des plus emblématiques.
Un mauvais mari ou une mauvaise femme font-ils des mauvais présidents ? De plus en plus, la vie sexuelle et sentimentale de nos dirigeants fait partie du débat politique. Le démocrate américain Gary Hart, incarné par Hugh Jackman dans le film The Front Runner, en salle le 16 janvier, en a fait les frais lors des primaires de 1987-1988 à cause d’une affaire extra-conjugale qui lui a coûté l’élection. Peut-on envisager une situation semblable en France, pays où François Mitterrand n’a pas été politiquement inquiété par la révélation de sa fille cachée, et où François Hollande a fait couler beaucoup d’encre sur ses différentes relations amoureuses ?
A première vue, la caricature semble simple : aux Etats-Unis, les mœurs puritaines verraient d’un mauvais œil toute forme d’adultère, avec en filigrane « l’idée que quelqu’un qui ment à sa femme ment à ses électeurs » résume Nicole Bacharan, historienne spécialisée sur les Etats-Unis et auteure du livre Du sexe en Amérique. Du côté français, on retrouverait la vision d’une vie privée et d’une vie publique résolument séparées. Pour le sociologue Eric Fassin, chercheur au laboratoire des études de genre et de sexualité de l’université Paris 8, cette approche « culturaliste », risque d’être trop figée, trop peu nuancée. « En France comme aux Etats-Unis, il ne faut pas présumer qu’il y a une culture éternelle ».
Image plutôt que morale
Pour cela, il n’y a qu’à s’appuyer sur l’Histoire. Nicole Bacharan cite celle de John Fitzgerald Kennedy, président de 1961 à 1963. « A l’époque, les journalistes étaient au courant que c’était un homme très infidèle. Mais il était dans leur intérêt d’être proches des hommes politiques, d’établir un lien pour avoir des scoops. Il y avait une espèce de pacte de ne pas parler de ces choses-là. » Pas de place pour des questions morales. Plus récemment,
aa montré un autre aspect des choses. « Avec Trump, on a dépassé l’hypocrisie. Les gens qui ont voté pour lui ont voté pour un prédateur sexuel qui s’en vante, ça n’a pas joué. »
« Ce n’est pas un jugement moral pur, renchérit l’historien Thomas Snégaroff. La question est plutôt de savoir ce que l’affaire dit de la personne. C’est évolution récente, puisque pendant longtemps, on s’intéressait plus au paraître qu’à la vérité. » Comprendre, dans les mots du professeur à Sciences Po et auteur de L’Amérique dans la peau : les corps du président américain, que contrairement à ce que l’on voudrait bien croire, on ne s’attend pas tant à ce que nos hommes et femmes politiques aient une vie sentimentale et sexuelle irréprochable, mais plutôt à ce qu’elle soit conforme à l’image qu’ils donnent d’eux.
Le mensonge les perdra
C’est probablement ce qui avait coûté à Gary Hart sa place à la Maison Blanche, lui qui était annoncé grand gagnant de cette élection jusqu’à ce que sa relation adultère avec l'ancienne Miss Caroline du Sud Donna Rice ne parvienne aux oreilles des journalistes du Miami Herald. « Le problème de Gary Hart n’était pas l’adultère, mais le mensonge. L'histoire veut qu'il aurait mis les médias au défi de prouver la relation. Or, ils avaient déjà des photos. Il a donc été pris en flagrant délit de mensonge », affirme Eric Fassin.
A l’époque, d’après un sondage du Time, 69% des personnes interrogées se disent plus dérangés par le mensonge, contre 7% par la relation extra-conjugale en elle-même. La même différenciation s'opère en 1998, au plus fort de l'affaire Lewinsky, venue entacher la présidence de Bill Clinton d'un scandale sexuel. « Quand on demande aux Américains ce qu'ils pensent de Clinton, les gens séparent le corps politique du corps biologique. Deux tiers d'entre eux disent qu'il est un bon président, et deux tiers vont aussi dire qu'il a fauté. On le condamne moralement mais on l'apprécie politiquement », analyse Thomas Snégaroff.
Plus que l’aspect moral, c’est donc la façon d’en jouer qui compte, une affirmation valable également en France. « A partir de Sarkozy, on peut savoir des choses sur les amours des présidents. Cela devient un vrai sujet et non plus de simples rumeurs, que l’intéressé peut mettre en scène politiquement. Ainsi, l’ancien président avait essayé de tourner la situation en sa faveur avec Cécilia, en jouant l’homme amoureux, prêt à tout pour reconquérir sa femme », estime Eric Fassin. Et pour le sociologue, il ne fait aucun doute que « la sexualité en politique, c’est une question politique ».