Ça veut dire quoi, devenir coopérateur dans un supermarché?
ma vie écoco•Pendant un mois, notre rédactrice passe des mots aux actes et essaie d’adopter un mode de vie 100% collaboratif. Aujourd’hui, elle présente ses débuts comme membre de La Louve, un supermarché coopératif de Paris...Adèle Bertier
Il faut bien commencer par quelque chose… Sur les conseils d’Emilie Morcillo, experte de l’économie collaborative, je décide de changer mes habitudes alimentaires. Ça commence par le lieu où faire mes courses. Je passe de la biocoop de mon quartier à La Louve, supermarché coopératif du 18e arrondissement parisien. On peut y faire ses courses moins chères, notamment grâce aux faibles coûts de gestion (il n’y a que 7 salariés). Surtout, La Louve surfe sur la tendance «consom’acteur», avec un supermarché qui «m’appartient un peu». A l’avenir, avec les autres membres de La Louve, je pourrai décider du type de produits qui s’aligneront dans les rayons, lors des assemblées générales qui ont lieu tous les trois mois. L’intention est louable, mais 10 mois après l’ouverture officielle, on est encore loin du compte.
7h.
Le réveil pique un peu. Dans une heure, je dois être à la Louve pour ma première «contribution». Après avoir assisté à une réunion obligatoire sur le fonctionnement de la Louve et payé ma souscription de 100€, il est temps pour moi d’aller au charbon. Dans ce supermarché un peu particulier, chaque membre doit s’impliquer trois heures toutes les quatre semaines pour faire tourner 1.400 m2 de surface.
8h.
«Il n’a fait que la moitié de son créneau, la prochaine fois, ça ne passera pas.» Voilà les premières paroles que j’entends à mon arrivée. On ne parle pas de «travail» à La Louve, mais les coordinateurs d’équipe attendent de chaque «contributeur» un minimum de rigueur. Dans la cafétéria improvisée, une dizaine de badges traînent sur la table. «Ce sont tous ceux de ton équipe qui ne sont pas venus», regrette Bruno, coordinateur d’équipe. Ce conseiller du 18e arrondissement parisien chargé du commerce a suivi toute l’aventure de La Louve, depuis 2010. Une idée de Tom Boothe et Brian Horihan, qui reproduisent à Paris le modèle américain de la Park Slope Food Coop, créé en 1973 à Brooklyn (New York).
Ambiance colonie de vacances
Mélanie, coopératrice, assure la pesée des fruits et légumes. Crédit: A. Bertier/20 Minutes
«Il faudra deux ans pour que La Louve trouve son rythme et commence à faire des bénéfices», explique Philippe, un bénévole. La «phase test» du supermarché est donc encore loin d’être terminée. Les sept salariés gèrent les tâches les plus qualifiées comme les commandes auprès des fournisseurs, quand les coopérateurs assurent le reste: réception des livraisons, caisse, nettoyage et mise en rayon. Tout le monde tâtonne un peu, et je n’échappe pas à la règle… J’entends dire qu’il y a du boulot côté livraisons, alors je me lance.
8h30.
Paul, coopérateur depuis l’ouverture du magasin, m’accueille avec bienveillance et m’indique la marche à suivre: mettre les produits sur des chariots, en fonction de la réserve où ils sont censés être entreposés. Tout est inscrit sur des feuilles affichées au mur, et les consignes s’accumulent un peu en vrac sur des post-it. «Tu regardes et si tu sais pas, tu demandes!» Deuxième étape: aller à la réserve en ascenseur. Cette tâche simple sur le papier s’avère être un combat de chaque minute… Il faut une clé pour déverrouiller l’ascenseur, mais elle a une fâcheuse tendance à disparaître. Finalement, la répartition des produits dans les réserves a des airs de chasse aux trésors en colonie de vacances. «Euh… les pois Wasabi, ça va où?» J’attends des applaudissements qui ne viennent pas après chacune de mes découvertes. Mais je me contente des encouragements taquins de mon coéquipier.
Contribuer, oui… Mais doucement
10h.
Après une heure et demie de travail, je commence à tourner un peu en rond… Je pense à Julien Vidal, un des tout premiers coopérateurs, qui s’amusait alors à faire des «courses de chariots» avec les membres de son équipe pour s’occuper… «En France, on a une certaine culture du travail: il faut être productif, sinon, on a peur de s’ennuyer», analyse Bruno qui doit régulièrement demander aux équipes de freiner la cadence pour laisser de quoi faire aux suivants.
«C’est difficile de dire à des gens qui se lèvent à 5 heures pour venir à la Louve de travailler au ralenti…». Mais le manque de travail n’est pas vraiment un problème pour les bénévoles qui pointent plutôt l’absence de viande halal, le manque de fromages à la découpe, l’insuffisance de produits en vrac… La période de rodage du magasin alimente les débats.
On trouve un rayon de vrac dans le supermarché, trop peu fourni selon certains membres. Crédit: A. Bertier/20 Minutes
10h45.
Bientôt la fin de mon créneau. Au moment de signer la feuille de présence, je croise Somaly, 27 ans. Elle regrette surtout que le supermarché ne propose pas uniquement du bio parmi ses plus de 3.500 références. Dans les rayons, les pâtes à tartiner côtoient les sachets de thé low cost.
«Être accessible pour attirer tout le monde»
«Libre à chacun de manger bio ou pas. La Louve a fait le choix d’être accessible pour attirer tout le monde, et notamment les gens du quartier», se défend Bruno. Si plus de 40% des membres habitent le 18e, La Louve attire une population de «bobos déjà sensibilisés à une consommation alternative, selon Alban, coopérateur depuis 8 mois. On ne touche pas encore les classes populaires». Le montant de la souscription a beau s’élever à 10€ seulement pour les personnes aux minimas sociaux, La Louve ne compte pour l’instant que 6% de coopérateurs de ce type.
11h.
Je repars convaincue par l’ambiance bon enfant et solidaire qui règne à La Louve, mais avec un regret: ce supermarché passe par un grossiste pour tous ses produits, et ne traite pas en direct avec les producteurs, contrairement à la Coopaparis, petite coopérative du 18e. Une question de logistique «qui pourra être abordée à la prochaine assemblée», m’indique-t-on. La nouvelle «consom’actrice» que je suis n’y manquera pas… En espérant que La Louve tienne ses promesses.