La France avance sur le droit des indépendants «uberisés»
droit•Un décret français vise à responsabiliser les plateformes collaboratives sur la protection des travailleurs indépendants...Adèle Bertier
Apparemment, devenir champion met la pression. Alors que la France est la meilleure élève européenne de l’économie collaborative, avec 36% d’utilisateurs de plateformes, le gouvernement a publié un décret début mai visant à protéger les travailleurs indépendants. Une bonne nouvelle, selon les spécialistes du secteur, qui mettent cependant en garde contre une régulation trop stricte des plateformes. Il ne faudrait pas que la France perde son leadership sur le secteur du collaboratif…
Protéger les travailleurs
Le décret précise que la plateforme doit contribuer à la protection du travailleur indépendant lorsque celui-ci réalise un chiffre d’affaires égal ou supérieur à 13% du plafond annuel de la sécurité sociale, «ce qui correspond, pour l’année 2017, à environ 5.000 euros», précise dans un article publié sur le blog Droit du partage, l’avocat Arthur Millerand, expert des questions juridique des plateformes numériques et cofondateur du blog. Le travailleur indépendant sera ainsi en droit d’exiger que la plateforme, avec qui il noue un contrat non pas salarial mais commercial, cotise pour sa protection sociale et son droit à la formation professionnelle. Ce dispositif entrera en vigueur le 1er janvier 2018. Il devrait impacter les mastodontes de l'économie collaborative comme Airbnb.
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En réalité, ce décret n’est que la déclinaison d’une problématique existante. Celle de la protection sociale des travailleurs indépendants, qui représentent 2,3 millions de personnes en France, selon l’Insee. Mais les plateformes apparaissent comme un «nouveau terrain de jeu» pour le législateur, remarque Maître Millerand. «Il existe aujourd’hui des centaines de plateformes grâce auxquelles des prestataires indépendants travaillent et trouvent des clients. Face à l'importance de ce mouvement de fond, il n'est pas surprenant que l'Etat s'intéresse à la façon dont ces personnes pourraient bénéficier d'une protection sociale.»
«Réguler sans casser»
Ce décret a beau être une avancée nécessaire pour l’économie collaborative, selon les experts, son impact reste limité. «Il existe peu de plateformes via lesquelles les utilisateurs gagnent plus de 5.000 € par an», analyse Ronan Kervadec, fondateur du service de location de bateaux entre particuliers Boaterfly.
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Bertrand, adepte de la plateforme de vente de biens et de services Allo Voisins, gagne environ 100 euros par mois grâce à l’entretien d’espaces verts chez une cliente normande. «Pour moi, c’est un petit complément de salaire, je ne me sens pas du tout concerné par cette réforme, même si je trouve que c’est une bonne chose.»
« Une protection sociale pour les travailleurs ubérisés ? https://t.co/2FHKx7r4k6 via @Plateformisation — Plateformisation (@plateformisatio) 29 mai 2017 »
Grégoire Leclercq, président de la Fédération des auto-entrepreneurs et de l’Observatoire de l’ubérisation, est persuadé que dans un pays où «tous les secteurs des services finiront par passer à la moulinette de la "plateformisation"», il faut encadrer les plateformes sans casser le mouvement. «Multiplier les règles contraignantes peut mettre des barrières à l’innovation», abonde Arthur Millerand.
L’écueil à éviter, selon l’avocat, est de prendre des décisions «à la va-vite», à l’instar de la loi Thévenoud, qui a répondu, en octobre 2014, à l’inquiétude des taxis face à la montée d’Uber. L’avocat se place ainsi en faveur de la proposition d’Emmanuel Macron sur le droit à l’expérimentation qui consiste à laisser les plateformes tester leur modèle avant qu’elles soient soumises aux règles.
«Un modèle social à inventer»
Au contraire, pour David Menascé, auteur de La France du Bon coin, il y a «tout un modèle social à inventer». Limiter la responsabilité des plateformes à la protection sociale des salariés est insuffisant, selon lui. «Les travailleurs indépendants ont besoin d’être syndiqués pour faire valoir leurs droits. Le chauffeur ou le livreur devrait être informé sur la politique tarifaire appliquée par la plateforme et bénéficier d’un partage de la valeur. L’intéressement, ça veut dire quoi quand on est indépendant?» La France peut se targuer d’être championne du collaboratif, mais n’a pas encore les réponses à toutes les questions.