5 films géniaux qui ont connu un tournage catastrophe
A savoir•Ces réalisateurs ont échappé de peu au désastre pour accoucher de films géniaux, au grand plaisir des cinéphiles...Aliénor Manet
A Hollywood, il faut souvent souffrir pour être beau, les réalisateurs n’échappent pas à la règle. «Le tournage est toujours un moment difficile pour un film, affirme l’historien du cinéma Patrick Brion. Ce qui fait la différence c’est le talent du réalisateur et des acteurs.» Ces cinq films en sont la preuve.
1. Apocalypse now, de Francis Ford Coppola (1979)
Le titre en dit long sur les conditions de réalisation de cette fresque immortalisée par le géant Coppola. Le cinéaste voulait adapter le roman de Joseph Conrad Au coeur des ténèbres pendant la guerre du Vietnam pour en faire «un film d’enlisement». Il a été servi. Après plusieurs semaines de tournage aux Philippines, le 19 mai 1976, le typhon Olga ravage les décors du film et enfonce un peu plus l’équipe du film exténuée dans la boue.
En août, après plusieurs semaines d’arrêt pour régler les problèmes financiers de Coppola qui a déjà dépassé son budget, l’acteur star Marlon Brando arrive dans l’archipel. Seul problème: il est obèse alors qu’il doit incarner un soldat surentraîné et ne connaît pas son script. Pour tenir le coup, les techniciens et les acteurs sont drogués et alcoolisés en permanence. Finalement, alors que le filmage se termine, Martin Sheen, l’acteur principal, est victime d’un arrêt cardiaque. Il est sauvé de justesse. Coppola termine ce tournage de sept mois apocalyptiques sur les rotules et avec un budget de 32 millions$, soit deux fois plus que celui d’origine. Le périple valait la chandelle. Il rapporta trois Golden Globes, et la Palme d’Or en 1979.
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2. Cléopâtre, de Joseph L. Mankiewicz (1963)
Autre mastodonte du 7ème art, le péplum Cléopâtre a imprimé les esprits des cinéphiles mais aussi la vie du réalisateur Joseph L. Mankiewicz. «Marqué par la multitude de problèmes qu’il eut à affronter durant la réalisation, Mankiewicz a toujours été injuste envers ce film superbe. Il ne voulait même pas que l’on prononce le nom du film devant lui!», décrit Patrick Brion dans son ouvrage Mankiewicz (ed. de la Martinière, 2005).
Le tournage a en effet été une suite de catastrophes. Le réalisateur embauché initialement, Rouben Mamoulian, a démissionné quelques mois après le début du filmage. Le studio a installé les décors égyptiens en Angleterre (chercher l’erreur). Et comme on pouvait s’y attendre, Elisabeth Taylor, la star incarnant Cléopâtre, tomba gravement malade à cause du mauvais temps britannique.
«Les compagnies d’assurance s’affolèrent, raconte Mamoulian. Elles exigèrent que nous tournions quelques scènes en attendant la guérison de Liz. Nous avons essayé dans la pluie, dans le froid, la boue, avec 700 figurants. Chaque fois qu’un acteur prononçait un mot, on voyait la vapeur lui sortir de la bouche. C’était le Pôle Nord, pas l’Egypte. Tout ça était grotesque.»
Elizabeth Taylor dans le rôle de Cléopâtre. Sur le tournage du film, elle tombera follement amoureuse de l'acteur Richard Burton. Droits réservés.
Il démissionne le 18 janvier 1961 et laisse sa place à Mankiewicz débauché pour 1,5 millions$. Le calvaire commence alors pour lui. Les décors anglais sont abandonnés pour l’Italie, plus proche du cadre supposé du film. Il entreprend de réécrire le scénario et se retrouve à rédiger pendant la nuit, les scènes qui seront tournées le lendemain. Le 4 mars, Liz Taylor subit une trachéotomie en urgence. Son état est tel que certains médias annoncent sa mort, les assurances se désengagent du film. L’opération a valu à l’actrice une grosse cicatrice sur la gorge que les maquilleurs et costumiers tenteront de cacher. Arrivés en Italie, les galères recommencent. La plage qui avait été louée pour le tournage s’avère être celle sur laquelle les Alliés ont débarqué en 1943, et donc encore minée…
Comme la réalisation de ce film magnifique qui rapportera tout de même 26 millions$ de recettes aux Etats-unis (pour 35 millions$ de budget final).
3. Les Oiseaux, d‘Alfred Hitchcock (1963)
Le film catastrophe Les Oiseaux du maître du suspense Alfred Hitchcock fut un tremplin pour la jeune Tippi Hedren, mais surtout un calvaire. Après qu’il l’a repérée dans une publicité à la télévision, Hitchcock demande à ce que l’ancienne mannequin fasse des essais pour son nouveau film. Rapidement, il lui fait signer un contrat pour sept ans et l’invite au restaurant où il lui offre une broche faite d’or et de perles figurant trois oiseaux en plein vol.
«Dès cet instant, Hitchcock, repris par ses vieux démons se transforme [...] en insupportable amoureux transi attendant de sa créature des attentions extra professionnelles hors de propos, décrit Laurent Bourdon dans son Dictionnaire Hitchcock (ed. Larousse, 2007). Il veut modeler sa découverte en fonction de ses désirs, lui offrant des pommes de terre et du Dom Pérignon pour la faire grossir, ajoutant des guillemets a son prénom ou lui dictant ses choix dans tous les domaines même les plus personnels.»
Le génie ne ménage pas sa protégée. Lors de la fameuse scène où la jeune femme se trouve enfermée dans un grenier avec des mouettes furieuses, de vrais oiseaux sont jetés sur elle, à bout portant, alors qu’elle avait été préparée avec des animaux mécaniques. Le calvaire dura une semaine et se finit par l’hospitalisation de l’actrice. «Je suis devenue hystérique», se souviendra-t-elle.
Elle ne jouera qu’une autre fois avec le réalisateur, dans Un printemps pour Marnie (1964). Les avances sexuelles qu’il lui fit lors du tournage marquèrent la fin de leur collaboration.
4. Police, de Maurice Pialat (1985)
Le metteur en scène Maurice Pialat était connu pour son mauvais caractère sur les plateaux. Ajoutez-y le tempérament de Gérard Depardieu, et vous aurez le cocktail détonant du tournage tempétueux de Police.
Sophie Marceau, alors révélation du cinéma français, n’est pas épargnée. «L'actrice tente bien de s'adapter, de comprendre ce que veut Pialat mais ce dernier veut la prendre à contre-pied, la surprendre, la déstabiliser pour obtenir quelque chose de différent venant d'elle», raconte Rémi Fontanel, professeur à l’université Lumière Lyon 2. Elle sortira mécontente du tournage, s’indignant que Gérard Depardieu lui ait mis de vraies claques, et refusera même de faire la promotion du film à cause du comportement de Pialat.
Les embrouilles ne s’arrêtent pas là. Richard Anconina subira aussi les humeurs du réalisateur. Rémi Fontanel détaille : «Un jour, sur le plateau, le jeune acteur se vante des bons scores en salles de son dernier film Paroles et musiques d'Elie Chouraqui. Pialat qui entend cela, lui dira qu'il est un acteur nul et qu'il n'a jamais rencontré un acteur aussi nul que lui. Anconina est complètement effondré et incapable de continuer.» D’autres péripéties du même genre s’ensuivent provoquant une fois le départ d’Anconina, une autre celui du réalisateur. Ils finirent tout de même par se réconcilier pour signer ce film policier qui fit tout de même 1,8 million d’entrées.
5. The Revenant, d’Alejandro Gonzàlez Iñàrritu (2016)
A l’instar d’Apocalypse now ou Cléopâtre, l’ambition du metteur en scène mexicain a valu un tournage périlleux à son dernier film prévu pour le 24 février, The Revenant. Cette fresque historique sur le légendaire trappeur du XIXème siècle, Hugh Glass, a été tournée entièrement en décors et lumière naturels. Initiée au Canada où les températures atteignirent vite les -40°C, la réalisation a dû être exportée en Argentine. «Tout le monde était gelé, les équipements cassaient. C’était un cauchemar pour déplacer une caméra d’un endroit à un autre», raconte Iñàrritu au Hollywood reporter.
Les délais de tournage se rallongent, le nombre de figurants augmente sensiblement au dernier moment, le budget explose pour atteindre 135 millions$. Les tares nécessaires pour réaliser un chef d’oeuvre? Il le semblerait bien. Le film a remporté trois Golden Globes en 2016 (meilleur acteur dans un drame, meilleur réalisateur et meilleur film dramatique), et est nominé aux Oscars dans quatre catégories (meilleur réalisateur, meilleur film, meilleur acteur et meilleur acteur dans un second rôle). Rien que ça.