« Nos choix d’aujourd’hui détermineront notre capacité à limiter la hausse des températures »
ENVIRONNEMENT•Sophie Szopa, chercheuse en chimie de l’atmosphère à l’université Paris-Saclay et co-autrice du dernier rapport du Giec, ne laisse pas de place au doute. Si le thermomètre planétaire chauffe, c'est de notre faute. Si le thermomètre chauffe, c’est de notre faute, mais nous avons toutes les cartes en main pour agirEmilie Cochaud-Kaminski
Article mis à jour le 25 avril 2022
Mesurer notre impact sur le réchauffement climatique, ses conséquences, et proposer des solutions. C’est l’objectif du sixième rapport du Giec sur le changement climatique, dont la troisième et dernière partie a été rendue publique le 4 avril 2022. Une pièce en trois actes, qui ne se termine pas forcément en tragédie, assurent les experts. A une condition : passer à la vitesse supérieure pour limiter le réchauffement à 1,5°C ou 2°C d’ici à la fin du siècle, par rapport à l’ère préindustrielle.
Sur l’urgence du calendrier, le Giec sonne clairement l’alerte : « Tout retard dans la mise en œuvre d’une action concertée, globale et anticipée, en faveur de l’adaptation et l’atténuation, nous fera rater la courte fenêtre d’opportunité, qui se referme rapidement, pour garantir un avenir vivable et durable pour tous. » Les experts enjoignent les gouvernements et les industries à réduire immédiatement et massivement la dépendance aux énergies fossiles, à baisser drastiquement les émissions de méthane, à déployer les énergies renouvelables, à devenir plus sobres en matière d’alimentation, de logement ou encore de transports, et à renforcer la captation de CO2 via la reforestation notamment.
Pour activer ces leviers, encore faut-il prendre conscience de notre rôle sur le climat. Et celui-ci est loin d’être une évidence pour tous. Selon une étude réalisée par OpinionWay pour 20 Minutes et AXA Prévention en 2021, un Français sur cinq pense que l’origine du changement climatique est « avant tout naturelle ».
Pourtant, les scientifiques sont catégoriques : l’Homme est directement et pleinement responsable du réchauffement climatique actuel. Comment les experts du Giec sont-ils arrivés à ce constat sans appel ? Pour répondre à cette question, nous avons interrogé Sophie Szopa, chercheuse en chimie de l’atmosphère à l’université Paris-Saclay et coautrice du premier volet du rapport du Giec, publié en août 2021.
A quel point l’humanité est-elle responsable du réchauffement climatique ?
Entre la fin du XIXe siècle et les années 2010, la température a augmenté de 1,1°C. La conclusion du rapport du Giec, c’est que l’intégralité de ce réchauffement est liée aux activités humaines. Par activité humaine, on entend l’émission de gaz à effet de serre (GES), causés principalement par la combustion d’énergies fossiles (pétrole, gaz naturel et charbon) et l’usage des terres, avec la déforestation notamment.
Dans son dernier rapport, le Giec affirme que le rôle des activités humaines est « sans équivoque » sur le climat. Pour la première fois, il n’y a plus aucune place pour le doute. Pourquoi ce changement de ton ?
Dès le début du XXe siècle, on supposait que l’activité humaine pouvait impacter la température en augmentant les concentrations de CO₂ dans l’atmosphère. Ce n’est pas nouveau. En revanche, il a fallu attendre bien plus longtemps pour que l’observation du climat permette de le démontrer.
Aujourd’hui, on mesure le CO₂ dans l’atmosphère en continu depuis les années 1950 et l’analyse des bulles d’air piégées dans la glace ou la neige permet de connaître l’évolution du CO₂ avant cela. Plus récemment, la compréhension des aérosols (particules fines) s’est améliorée. Ces trente dernières années, les modèles scientifiques ont aussi beaucoup progressé pour comprendre les causes du changement climatique.
Et que constatez-vous ?
Dans nos modèles, nous montrons que la variabilité naturelle du climat [liée au rayonnement solaire, aux éruptions volcaniques] fait fluctuer la température d’une année sur l’autre, mais qu’elle n’a pas eu d’action sur le changement de température à long terme. On constate que c’est l’évolution des GES et des particules fines qui explique le réchauffement climatique actuel.
Concrètement, comment faites-vous la différence entre les GES d’origine humaine et ceux d’origine naturelle ?
On est aujourd’hui capables de reconstruire l’évolution de la température et des GES dans le temps, à partir d’observations. Ensuite, on utilise des modèles numériques pour déterminer le rôle des activités humaines.
Concrètement, des simulations permettent de reproduire ce qu’il se passerait sur Terre si les GES restaient à leur niveau préindustriel [1850-1900]. Dans ce cas, la température moyenne mondiale varie d’une année sur l’autre, mais reste globalement sur une ligne horizontale. En revanche, lorsqu’on prend en compte l’évolution des GES, on arrive à reproduire l’évolution des températures observées aujourd’hui.
Autre élément de preuve : en prenant séparément l’évolution de chacun des facteurs qui agit sur le climat depuis le début de l’ère industrielle (dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote, volcanisme…), on arrive à quantifier leur effet individuel sur le réchauffement climatique. Et on constate que le CO₂ et le méthane sont les deux principaux agents impliqués dans l’augmentation de température actuelle.
Enfin, il faut comprendre que ces trente dernières années, on a émis autant de CO₂ qu’entre l’ère préindustrielle et 1990 ! C’est aussi ce qui permet de lever toute ambiguïté.
Mais par le passé, la Terre a connu des phases de réchauffement naturel. En quoi est-ce différent ?
Grâce à des « archives naturelles » [organismes fossilisés, stalactites…], on peut reconstituer les concentrations de GES et les températures du passé. Et on constate que la dernière décennie est la plus chaude observée depuis 100.000 ans et que la concentration de CO₂ est sans précédent depuis au moins deux millions d’années. Ce qui est inédit, ce n’est pas seulement l’élévation de la température, mais c’est l’ampleur et la vitesse à laquelle elle se produit.
Cette prise de conscience est aussi un appel à l’action…
Ce sont nos choix d’aujourd’hui qui détermineront si l’on parvient à limiter la hausse des températures à +1,5° ou +2° C. Si les émissions continuent à augmenter, on pourrait se situer au-delà de 4° C d’ici à 2100, avec des conséquences extrêmement graves. Rien n’est écrit, il n’est pas trop tard. Mais c’est à nos gouvernements de s’engager sur des trajectoires pour réduire de manière massive les GES. C’est à nos industries de s’engager, pas seulement dans les paroles mais dans les actes. Et c’est aussi à nous tous, en tant qu’individus, de nous habituer à l’idée d’aller vers plus de sobriété.
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