A l’écrit ou sur écran, qu’est-ce qui fait une bonne dystopie?
FICTION•Ces mondes où le bonheur est impossible ont le vent en poupe. On revient sur les raisons de leur succèsThierry Weber
L'essentiel
- La «Servante écarlate», «Westworld», «Black Mirror», «Gunnm» sont des dystopies.
- Une bonne dystopie pousse son public à s’interroger sur les dérives possibles de la société.
- Il existe deux approches dystopiques principales. Soit l’auteur va inventer un univers différent du nôtre, régi par d’autres règles, ou au contraire s’inspirer de notre monde mais en changer un élément clé.
Le monde va mal, mais celui des dystopies, lui, est en pleine forme. Westworld, Black Mirror, La Servante écarlate, Divergente, le manga Gunnm adapté en film sous le titre Alita: Battle Angel (sortie le 13 février)… En bouquin, en série ou au cinéma, les dystopies sont partout. Leurs univers sont conçus de manière à ce que leurs occupants ne puissent pas atteindre le bonheur, et surtout à faire réfléchir. Et le public aime ça.
« La dystopie permet d’engager la réflexion sans que ce soit traumatisant. C’est un miroir dans lequel on se voit mais sans se reconnaître vraiment. » Pour Stéphanie Aten, l’objectif de la dystopie ne fait aucun doute : exprimer un message pour « critiquer de manière indolore ». Auteure de Les Enfants de Pangée, une trilogie d’anticipation sur fond de questionnement sur le bouleversement climatique et la société de consommation, l’écrivaine et scénariste travaille actuellement à la possible adaptation de son œuvre en série. Pour elle, une dystopie qui marche dit aux lecteurs « mêlez-vous de votre monde ».
Nouveau monde ou petit changement ?
Un concept qui marche bien selon Julien Cespedes, gérant de la librairie spécialisée dans la littérature de l’imaginaire, La Dimension fantastique (Paris 10e). A titre d’exemple, il cite une de ses meilleures ventes, La Servante écarlate, « au côté très féministe. C’est un sujet qui préoccupe les gens. Le fait que la fin soit ouverte amène en plus à réfléchir par soi-même. » La popularité de ce titre vient aussi de la série éponyme. Mais le succès d’une dystopie déclinée en images repose sur d’autres éléments, et notamment l’esthétique.
Olivier Wotling, directeur de la fiction d’Arte France qui a diffusé Trepalium, Transferts, et Ad vitam, voit deux manières de faire une dystopie. « Dans l’approche la plus ambitieuse, on va reconstituer un monde, en définir les règles, les valeurs. Cela peut prendre beaucoup de temps à mettre en place, et nécessite de gros investissements. Il y a aussi une approche plus subtile, qui s’inscrit dans le monde d’aujourd’hui avec un élément fondamental qui va changer. » Les amateurs de la série Black Mirror se souviendront par exemple du pilote durant lequel le premier ministre britannique est victime de chantage et finit par devoir se filmer en ayant une relation sexuelle avec un animal, sous le regard tantôt hilare, tantôt compatissant ou offusqué de toute la nation. A l’écran, l’ambition peut être l’ennemie du succès si les moyens de production ne sont pas suffisants, puisque, des mots d’Olivier Wotling, il y a une attente de « spectaculaire ».
La figure du héros et une thématique porteuse
Ce qui n’empêche pas la dystopie de fonctionner quand elle est servie par des héros charismatiques, qui s’opposent « à ce qui ne va pas dans le monde et qui trouvent des moyens d’action. Les gens sont en recherche de ça, comme s’ils avaient besoin d’un guide », estime Stéphanie Aten. C’est ce que Julien Cespedes appelle le « schéma classique et récurrent » des dystopies, notamment adolescentes. « On suit un héros ou une héroïne dans un monde en perdition, où ils cherchent une lueur d’espoir ».
Et cet univers a intérêt à convaincre, d’après Stéphanie Aten qui trouve ses lecteurs particulièrement « exigeants sur le monde proposé. S’il ne doit pas être réaliste, il doit se montrer crédible, cohérent », en plus d’accueillir des « personnages auxquels on peut facilement s’identifier ». Si le tout est servi par une thématique porteuse, comme « tout ce qui est lié à Internet, à l’intelligence artificielle », la technologie au sens plus large, ou « le côté fin du monde » cité par Julien Cespedes, l’exercice dystopique ne peut qu’être réussi.