« Le levier numéro un des groupes de presse qui réussissent, c’est l’indépendance », assure David Guiraud
MEDIAS•Le président de l’association propriétaire de Sipa Ouest-France, (actionnaire de 20 Minutes) fait de l’indépendance de ses rédactions la clé de la réussite de son groupeRecueilli par J.-B. Cazalets
L’ASPDH, association propriétaire du groupe Sipa Ouest-France (actionnaire de 20 Minutes), organisait ce jeudi une journée de travail sur l’indépendance avec 200 collaborateurs. Entretien avec son président, David Guiraud.
Le 10 avril 1990, à l’initiative de son PDG François Régis Hutin, Ouest-France était placé sous la protection d’une association loi 1901 à but non lucratif. Pourquoi cette décision ?
Le contexte de l’époque était agité. Robert Hersant faisait main basse sur des journaux régionaux et nationaux. L’actionnariat du groupe Ouest-France était dispersé. François Régis Hutin a estimé qu’il fallait défendre avec vigueur l’indépendance du journal. D’où la création d’une association à but non lucratif, l’Association pour le Soutien des Principes de la Démocratie Humaniste (ASPDH), qui a repris aux actionnaires historiques la propriété du groupe. Cette association n’ayant pas de capital, le groupe se mettait donc à l’abri de toute attaque capitalistique.
Trente-trois ans après, l’ASPDH est propriétaire du groupe Sipa. Qui constitue l’association ?
Elle est composée de 59 membres venant de tous les horizons de la société, tous alignés avec nos valeurs : journaliste, scientifique, écrivain, sociologue, ambassadeur, juriste, architecte, hommes et femmes d’entreprise, agriculteur… Cette diversité d’expériences et de points de vue fait la force et la richesse de l’association. Car elle n’est pas seulement un véhicule juridique, elle est aussi un organe vivant de gouvernance dans un monde en profonde transformation. Elle porte, et c’est son plus grand capital, un socle de valeurs résumées dans une charte et une mission « Éclairer, informer, relier les citoyens pour faire progresser le bien commun dans le respect de la dignité de chacun ».
C’est au nom de ces valeurs que se fabrique notre indépendance.
Quel est son rôle ?
D’abord une fonction de contrôle : contrôle de la pérennité économique du groupe dont elle est garante. Nous ne versons aucun dividende, tout l’argent que nous gagnons est réinvesti dans l’entreprise pour assurer son développement. Nous nous devons donc d’être profitables. C’est un système vertueux.
Ensuite une fonction d’inspiration : à partir de notre socle de valeurs, inspirer l’ensemble des stratégies du groupe Sipa. Des défis cruciaux nous attendent (climatiques, sociétaux, politiques, sanitaires, géopolitiques…). Cela nécessite une réflexion permanente de l’association à partir de notre mission, en dialogue avec les rédactions et tous les collaborateurs du groupe. Dans le cadre de cette charte, chaque rédaction est indépendante.
L’indépendance, c’est exigeant, notamment sur le plan financier. Si le contexte économique se tend, comment comptez-vous résister ?
Le groupe est profitable et possède des réserves financières, mais ce n’est pas suffisant. L’une de nos filiales, Sofiouest, est un fonds d’investissement qui a vocation à prendre des parts dans des activités d’avenir et constituer une réserve financière potentielle. En cas de besoin, nous pourrons faire appel à ces réserves dans l’avenir.
Les activités dans lesquelles Sofiouest investit sont de toute nature. Elles sont néanmoins choisies à partir de critères précis qui répondent aux valeurs du groupe.
Vous avez réuni, mercredi à Rennes, 200 collaborateurs du groupe Sipa pour une journée de travail sur l’indépendance des médias. Pourquoi une telle initiative ?
Dans le monde, les groupes qui réussissent le mieux sont ceux dont l’information est vraiment le cœur de métier. Et dans leurs fondamentaux, le levier numéro un, c’est l’indépendance. Encore plus dans un environnement grandissant de fake news et de réseaux sociaux non maîtrisés. Qui parle ? Quelle liberté de conscience ? L’indépendance aura de plus en plus d’importance dans les années à venir. Elle est la condition de la confiance. Notre association veut porter cette conviction. Il était important d’en débattre.
Les enjeux majeurs pour l’avenir ne manquent pas. Vous évoquez le climat et la Démocratie…
Le climat est une question prioritaire. Les journalistes de Ouest-France ont édité une charte, remarquable engagement sur ce sujet, prolongement naturel de notre charte.
Le défi démocratique est tout aussi important. Que se passera-t-il si la presse s’effondre ? On laissera la place aux plateformes, aux réseaux sociaux, à des acteurs qui n’ont aucune responsabilité juridique, aucune ligne éditoriale, aucun système de modération. Aucun moyen de savoir qui parle, et si ce qui est dit et écrit est vérifié…
Nous avons un rôle majeur à jouer dans ce contexte, notamment sur la question de la qualité de l’information. Il faut protéger les faits, ce que les réseaux sociaux et le système numérique battent en brèche chaque jour. Et avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, notre responsabilité pour défendre la démocratie est d’autant plus essentielle.
Les lecteurs nous attendent sur quels points ?
Nous devons nous battre sur trois fronts. 1) L’indépendance. 2) la confiance, qui est la conséquence de l’indépendance. 3) La puissance, qui est la conséquence des deux premiers. Dans le monde digital, face aux plateformes, il faudra être puissant. C’est la raison pour laquelle notre groupe développe considérablement ses plateformes.