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FeuilletonDans « Money Jungle », saison 2, des déboires pour l’oligarque russe

Dans la saison 2 de notre série « Money Jungle », la guerre en Ukraine contrarie les desseins du milliardaire russe

FeuilletonRetrouvez les dix premiers épisodes de ce feuilleton librement inspiré de faits réels, et écrit par David d’Équainville et Pascal Henry pour « 20 Minutes »
« Money Jungle » est une série écrite pour NBE Éditions et « 20 Minutes ».
« Money Jungle » est une série écrite pour NBE Éditions et « 20 Minutes ». - QuinceCreative / Pixabay
J.Bt

J.Bt

David d’Équainville, éditeur et auteur, et Pascal Henry, journaliste d’investigation et réalisateur, ont raconté, dans la saison 1 de Money Jungle, une série librement inspirée de faits réels, les aventures d’une jeune avocate fascinée par les complaisances achetées par l’argent de son employeur milliardaire, l’oligarque Oleg Chestov.

Publié en exclusivité dans notre journal depuis novembre 2021, le feuilleton, écrit pour NBE Éditions, se décline aussi sur notre site. La première partie de la saison 1 est à découvrir ici, la seconde partie, .

Découvrez ci-dessous les dix premiers épisodes de la saison 2, qui, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, suit les traces d’Oleg Chestov, occupé à mettre à l’abri sa collection de chefs-d’œuvre et le reste de sa fortune. Les dix derniers épisodes de la saison 2 arrivent très bientôt…

Ép. 1 : Avis de tempête dans les airs

Impossible de prendre son Airbus personnel, un comble. Depuis la guerre en Ukraine, les Russes sont désormais interdits de vol privé au-dessus du territoire américain. L’oligarque Oleg Chestov a dû se résoudre à patienter dans un salon, avant de s’embarquer, comme tout le monde, à l’appel du vol New York-Chypre via Athènes. Il n’avait pas connu pareille vexation depuis des décennies, quand il était simple médecin, en Russie, et pas encore milliardaire.

Dans la tête d’Oleg Chestov, c’est la tempête. Il peut tout perdre : son rang, sa fortune, ses petites habitudes d’ultrariche, et même son club de foot. À New York, d’où il vient de décoller, avec les sanctions occidentales qui s’abattent en rafale sur tous les oligarques, les appuis se sont faits rares. D’autant qu’il s’est retrouvé sur une liste de Russes ciblés par la Chambre des représentants américains. À côté de lui, toute raide dans son confortable fauteuil 1re classe, Olga Amakhtova, sa si fidèle avocate d’origine ukrainienne, a la mine soucieuse des mauvais jours. Elle a joué de ses relations avec les proches du pouvoir à Kiev, sans résultat. Elle sait que son patron ne doit pas perdre cette partie, sans quoi elle peut plier bagage.

La collection de tableaux dans les coffres de sa banque chypriote, l’île grecque, le yacht de 110 mètres de long, les propriétés partout dans le monde… Pour Chestov, tout peut devenir du plomb. Heureusement que le montage financier qu’il a imaginé lui offre une relative protection…à la condition que sa très chère fille reste propriétaire de la plupart de ses biens.


Ép. 2 : Un don pour l’impunité

En route pour l’île de Chypre par la voie des airs, Oleg Chestov ne compte pas se laisser confisquer son magot par la guerre. Il a pour lui mobilité, crédit et passeports. La chasse aux avoirs russes peut bien patienter un peu avant de le désigner comme cible à abattre. Mais l’oligarque est confiant. Si la richesse lui a appris quelque chose, c’est de toujours pouvoir compter sur l’appétit insatiable des gens pour l’argent. Repu, un bipède a moins tendance à mordre.

« Le monde traverse des moments difficiles… », dicte Chestov à son téléphone. Il prépare le brouillon du communiqué concernant le don qu’il envisage de faire à la Croix-Rouge du Royaume en faveur des réfugiés ukrainiens. Depuis les bombardements russes, le contexte s’est beaucoup dégradé pour les oligarques. Faire un don au célèbre bal caritatif en s’affichant aux côtés des opprimés lui donnera sans aucun doute un sursis. Autant éviter de se retrouver sur la liste noire des biens russes à saisir. Sans bateau ni avion, Chestov ne donne pas cher de sa peau.

« On dit souvent que rien ne sert de parler si l’on ne joint pas le geste à la parole », poursuit-il. Elle est loin l’époque où le Prince cherchait sa compagnie et son argent. C’était avant que le marchand du Léonard de Vinci, qui lui avait vendu le tableau le plus cher du monde, ne gagne tous ses procès contre lui. « J’aspire à ce que le monde retrouve paix et unité… ». Il était tout de même mieux loti lorsqu’il jouait l’agent dormant, prêt à rendre service au maître du Kremlin. Tout le monde était content. Il n’avait pas grand-chose à faire, sinon à profiter de sa fortune.

Ép. 3 : Paradis pour oligarque

À la sortie de l’aéroport de Larnaca, sur l’île de Chypre, pour la première fois depuis des jours, Oleg Chestov se sent un peu plus en sécurité. Les relents iodés de la Méditerranée, dont il n’a cure d’ordinaire, lui chatouillent agréablement les narines. Ici, il est vraiment chez lui. Il a même acheté un passeport et la nationalité chypriote. Tarif de l’opération : l’acquisition d’une villa. C’est tout ce que demandaient les autorités locales pour consacrer un nouveau citoyen européen.

Ancré dans ce pays depuis douze ans, le Russe a même poussé la coquetterie, à force de cadeaux, de soutiens et de financements divers, jusqu’à s’offrir une immunité sous la forme d’une loi sur-mesure à son nom, la loi Chestov. Un crime financier commis à l’étranger doit être reconnu par la législation locale pour être sanctionné.

Sur l’île, la finance et les oligarques sont la sève qui irrigue les oliviers de la terre de naissance d’Aphrodite, autrement dit tous les flibustiers de la finance y sont à l’abri. Avec un acolyte de l’ancien président américain, ils ont même pris la majorité dans une banque privée locale. Chestov y a planqué sa collection de tableaux, une affaire à près de deux milliards de dollars. Bref, après les sueurs froides et les humiliations américaines, il est temps de se détendre un peu.

La vibration de son téléphone dans la poche de sa veste interrompt sa rêverie. Un coup d’œil sur le nom qui s’affiche sur l’écran, Serguey Zebuchenko, un général du FSB. La cloche d’un nouveau round tinte.

Ép. 4 : Un voyage à 20 millions

– Bonjour Olejka, dit le général du FSB à Oleg Chestov.

– Bonjour Serguey. La ligne est cryptée ?

– Oui, j’appelle d’un Taïga.

– Un téléphone de Kasper ?

– Oui, dit Zebuchenko.

– Je l’ai croisé au dernier Grand Prix du Royaume, il était sponsor de la Scuderia Ferrari. Il assurait aussi la protection de leurs données.

– Il a toujours su se rendre indispensable et capter la confiance des Européens, dit le général. Il est même partenaire du gouvernement français, chargé de l’aider à lutter contre la cybermalveillance. Ce n’est pas pour rien un ancien diplômé en cryptologie de la Haute École du KGB. Je l’ai connu là-bas

– Tout ça, c’était avant l’Ukraine.

– Oui, comme nous, la guerre va l’obliger à revoir sa position. Et l’Amérique ?

– J’ai limité les dégâts. Je reste pour l’instant hors des radars des sanctions américaines. Mais ils en ont profité pour me faire les poches.

– Qui ça ?

– Le vendeur du fabricant d’avion, un Gulfstream que j’avais commandé, le modèle à autonomie de vol rallongée. Avec l’arsenal des mesures contre Moscou, l’intermédiaire ne s’est pas privé de casser le contrat et de garder pour lui les 20 millions d’acompte.

– Je t’avais dit, Olejka, de te méfier des Américains.

Ép. 5 : Acheter au son du canon

– Te souviens-tu quand nous étions à Molotov, demande Oleg Chestov ?

– Comment pourrais-je oublier notre ville, dit le général. Les affaires y ont été si prospères. Je ne risque pas d’oublier ce qu’il s’est passé là-bas, Olejka. Pourquoi, tu crains un fantôme du passé ?

– À la profondeur où ils sont enterrés, il n’y a aucun risque. Non, je pense à une opportunité comparable à celle de Molotov, le même genre qui a permis la prise de contrôle de 25 % de la production mondiale d’engrais, avant de faire de moi un oligarque.

– Attention Olejka, la situation n’a rien à voir avec l’époque de l’effondrement de l’Union soviétique. Il faut rester prudent.

– Serguey, soit réaliste, le vent tourne. Les jours du régime sont comptés. Tu sais bien que personne n’aime les perdants, et surtout pas les Russes. Ils ne pardonneront pas à leur chef cette guerre coûteuse. C’est une occasion unique de refaire le coup de Molotov, en passant par la bourse.

– Quelle société vises-tu ?

– Rostack.

– La société d’État, impossible, elle n’est pas cotée.

– Justement, personne n’y pensera, c’est une cible idéale.

– Je connais son président, un ancien du KGB, lui aussi. C’est un spécialiste de l’industrie de l’armement.

– Écoute Serguey, la décision est prise. Nous irons en passant par les banques. Je t’expliquerai plus tard comment.

Ép. 6 : Interlude à la Barbade

« Surtout, ne bougez pas, attendez mes ordres. » À l’autre bout du monde, sur l’île de La Barbade, John, le capitaine du superyacht My Emma, a reçu 5/5 l’injonction adressée en messagerie cryptée par l’oligarque Oleg Chestov. Pas question d’appareiller, comme prévu chaque année à la même saison, pour l’île grecque de Patrokas, en mer Ionienne. Avec les sanctions occidentales, le tout récent yacht à 250 millions de dollars pourrait se retrouver coincé avec ses 110 mètres de long, saisi par les douaniers européens ou américains. Comme ceux de ses petits camarades oligarques russes qui n’ont pas réagi à temps.

L’énorme bateau de luxe est bien tranquille, ancré devant Bridgetown, capitale de La Barbade, sans se faire remarquer plus que de raison, excepté par sa taille gigantesque. L’AIS, ce positionnement GPS, obligatoire sur ce type de navire, est débranché pour ne pas se faire repérer. Ici, personne ne demandera rien. La nouvelle république caribéenne a fait récemment sécession de la Couronne britannique. Elle accueille bien volontiers les touristes fortunés. Quant aux sanctions, la guerre en Ukraine… C’est bien loin tout ça, pourvu que la taxe de 4.000 dollars par jour soit payée. Une pacotille pour un tel havre de paix en ces temps si difficiles.

De la terrasse de sa villa chypriote, Chestov observe le lointain, au-delà de la zone frontière avec la Chypre du Nord, qui borde son domaine. Il se retourne lentement vers son fidèle Zebuchenko. La Bourse de Moscou vient tout juste de rouvrir. « Cette fois, on y va », conclut Chestov.

Ép. 7 : Billard à trois bandes

La veille, un émissaire venu de Moscou avait passé le message à Chestov : officiellement, le maître du Kremlin n’avait pas du tout apprécié son absence à la réunion des vassaux du régime, et l’avait fait savoir.

Ce 24 février au soir, ils étaient tous venus, 40 oligarques cousus d’or, réunis par les circonstances, pitoyablement assis sur des chaises alignées face à leur suzerain, dans l’immense hall Catherine de l’ancien Sénat russe. Ils devaient renouveler leur serment de soumission, au moment même où les blindés russes envahissaient l’Ukraine.

Contrairement aux apparences, l’affaire était entendue. Le Kremlin avait désigné Chestov pour jouer le rôle du vilain petit canard. Il était plus utile en volatile mis au coin à l’étranger qu’en soutien de « l’opération spéciale ». Il brillait donc par son absence et laissait croire qu’il avait pris ses distances avec le pouvoir. Son don à la Croix-Rouge pour les réfugiés d’Ukraine lui servait encore de sauf-conduit face aux Occidentaux. Il se gardait bien, au demeurant, de condamner ou de seulement critiquer le Tsar de la Sainte Russie.

De son repaire de Chypre, il n’avait pas bougé. Pour l’instant, personne ne venait s’étonner que son immense chalet suisse de Gstaad, son appartement new-yorkais d’une valeur 88 millions de dollars, sa villa d’Hawaï, son club de foot ne soient pas saisis ! Il se sentait protégé grâce à l’accord secret noué par son indéfectible allié, l’oligarque Othman Rakhimov. Lui était bien présent au Kremlin lors de cette soirée de remise au pas, fidèle représentant de Chestov auprès du Tsar.

Ép. 8 : Rester masqué

L’opération financière doit rester masquée. En rachetant la banque qui contrôle une bonne partie des filiales du géant de l’armement russe, Chestov va tenter un coup de poker. Les fruits de l’opération ne tomberont que lorsque la guerre sera terminée.

Pour l’heure, la cible s’appelle Pelyas. Elle détient près d’un quart des réserves d’or russe. Avant les déclarations officielles sur l’Ukraine, Chestov s’était empressé d’acquérir les titres de ce filon. Être au plus près du maître du Kremlin a ses avantages, surtout quand se prépare une « opération militaire spéciale ». En Occident, on appelle cela un délit d’initié.

La stratégie est connue : lancer toutes ses forces simultanément. La cession massive des actions de la première société aurifère du pays, au moment où le monde entier cherche de l’or comme valeur refuge, suscitera forcément l’enthousiasme. C’est le principe de l’avalanche, vendre par petits paquets une énorme quantité en utilisant un réseau de traders disséminés aux quatre coins du pays, qui ignorent tout de l’ensemble de l’opération. La sortie du capital de Pelyas se fait ainsi en toute discrétion.

Mikhaïl, son fidèle lieutenant, est aux commandes de la salle de marché privée logée dans le gigantesque appartement de l’oligarque, qui surplombe le port du Royaume. Ne pas se précipiter lors de la réouverture de la Bourse de Moscou. C’est ce que lui a discrètement recommandé son homme lige à la Sverbank. Céder discrètement l’ensemble des titres, se désengager en empochant des plus-values gigantesques, c’est reconstituer une trésorerie et prendre une option sur le pouvoir. Si, par hasard, le maître du Kremlin perdait la main.

Ép. 9 : Passer entre les gouttes

« Décidément, pense Oleg Chestov en préparant à nouveau son départ, il y a trop de Russes à Chypre pour que l’île reste oubliée plus longtemps des sanctions des Occidentaux. » Serguey, son associé général espion, lui a raconté la toute récente visite d’une délégation européenne, entièrement composée de techniciens de la finance. Elle rendait compte directement à la patronne de la Banque centrale.

Avec la bénédiction des autorités, ces spécialistes des sociétés offshore avaient passé leur séjour à inspecter le cœur de l’île. Et ce n’était pas le bain de minuit sous la pleine lune, vanté par les offices du tourisme pour trouver l’amour éternel, qui les avait retenus. Ils avaient préféré se concentrer sur les noms des oligarques cachés derrière les compagnies hébergées dans les principaux établissements financiers du pays.

La bonne nouvelle est que leur passage avait épargné les biens de Chestov. « Pour l’instant », se dit Oleg, conscient qu’il faut partir et que les lieux où il est à l’abri se comptent désormais sur les doigts d’une main. Comme pour un bon nombre de ses pairs déjà en fuite, il est urgent de filer. Sa couverture de dissident contre la guerre en Ukraine tient bon, mais nul ne sait pour combien de temps. Personne n’a encore eu l’idée de venir fouiner, vérifier si, d’aventure, il ne serait pas en train de mentir. La prudence l’oblige à plier bagage une nouvelle fois. Direction les Bahamas, Nassau. Le plus logique puisque l’attendent son bateau et ce merveilleux hôtel, Les Falaises bleues, où il a installé des bureaux en prévision de la gestion de ses affaires en crise.


Ép. 10 : Calme, luxe et volupté

Nassau, Bahamas, 25° nord, 77° 19 ouest. 27°C. Les palmes des cocotiers bruissent doucement au gré de l’alizé. Au bord de la piscine, Oleg Chestov, allongé sur un transat, prend pour la première fois, depuis si longtemps, le temps de respirer, mais aussi de savourer.

Il est loin le tumulte du monde, de l’ambiance détestable de Chypre, montrée du doigt par les autorités financières européennes pour sa complaisance vis-à-vis des Russes, des opérations boursières secrètes, des sanctions contre les oligarques, de la guerre en Ukraine. Il ne s’en est pas mal sorti.

Ici, dans ce palace des Bahamas qui fut la demeure coloniale d’un pirate des Caraïbes, le Russe a trouvé enfin un repaire, un havre où se ressourcer. Avant lui, Churchill, les Beatles et Onassis y sont venus. Oligarque oblige et sécurité avant tout, il a presque entièrement privatisé le lieu.

Assise à ses côtés au bord de la piscine, son médecin, une femme sculpturale, Irina, originaire de l’Oural, comme lui, aussi brune que décidée, l’entoure de tous les soins requis. L’homme a beau être richissime, ses ennuis de santé l’accaparent. Mais une petite escouade d’infirmières triées sur le volet lui apporte du réconfort.

La petite cloche signalant l’arrivée d’un SMS sur son portable le rappelle à la réalité. Toujours laconique, un message – opération Méditerranée réussie –, à la signature masquée, le renfonce dans son transat avec un sourire. L’opération d’intoxication a parfaitement fonctionné. Au Royaume, où il a pris le pouvoir, au cœur de l’Europe et de la Méditerranée, tout le monde pense qu’il est un vrai dissident russe.

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