Pédophilie dans l’église: Qu'a changé l'affaire Preynat, révélée à Lyon, un an après sa médiatisation?
SOCIÉTÉ•Les victimes présumées de «La Parole Libérée» et le diocèse de Lyon livrent à « 20 Minutes» leur sentiment sur l'année écoulée...Elisa Frisullo
«Il y aura désormais dans l’histoire de l’église française un avant et un après Preynat ». Un an après être sorti du silence aux côtés d’autres victimes présumées, Bertrand Virieux, cofondateur de l’association La Parole libérée, a le sentiment du devoir accompli. Le 12 janvier 2016, ce Lyonnais de 45 ans sortait de l’ombre pour la première fois en médiatisant son histoire, récit parmi tant d’autres des agressions sexuelles présumées perpétrées par le père Bernard Preynat il y a plus de vingt-cinq à l’encontre d’anciens scouts de la paroisse Saint-Luc à Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône).
Une année éprouvante pour chacun d’eux, qui a laissé des traces dans leur parcours personnel mais également au sein du diocèse de Lyon, plongé des mois durant dans une tempête sans précédent. 20 Minutes a interrogé des victimes et le diocèse de Lyon pour faire la lumière sur ce qu’a changé l’affaire Preynat en matière de lutte contre la pédophilie.
- Une prise de conscience dans la société
Pour le président de La Parole Libérée, l’affaire déterrée par les victimes a entraîné une véritable prise de conscience au sein de la société. « J’ai le sentiment d’avoir fait mon devoir citoyen, le devoir qui nous incombe lorsque l’on voit un dysfonctionnement qui nous paraît grave. C’est comme cela qu’on peut faire évoluer la société, en suscitant une prise de conscience mais également en faisant par la suite évoluer les lois », indique François Devaux, père de famille de 37 ans.
- Des prêtres mis en cause écartés
En juin dernier, l’archevêque de Lyon Philippe Barbarin avait indiqué que suite aux diverses mesures prises par l’Eglise pour améliorer la lutte contre la pédophilie, quatre prêtres du diocèse, mis en cause dans des affaires de mœurs concernant des mineurs, avaient été relevés de leur ministère et font ou ont fait l'objet d'une procédure canonique.
Ils ne sont donc plus au contact de paroissiens. Pour ces hommes d’Église, le diocèse n’était pas en mesure de préciser, mercredi, les suites données aux procédures engagées à leur encontre. Tant que le droit canonique n’a pas été appliqué, ces hommes restent, en tant que prêtres du diocèse, payés par l’Eglise et peuvent être affectés à des postes administratifs, sans lien avec du public.
Pour le cas du père Preynat, un procès canonique est prévu très prochainement. Dans un premier temps, le diocèse avait fait savoir qu’une telle procédure ne pouvait être engagée qu’une fois l’affaire jugée au civil. « Le droit canon prévoit aussi de ne pas juger les affaires prescrites. Mais l’église a levé ces deux obstacles, ce qui va permettre la tenue imminente du procès canonique », indique-t-on dans l'entourage de l'archevêque de Lyon Philippe Barbarin.
Au terme de cette procédure, le père Preynat pourrait retourner à l’état laïc et ne ferait alors plus partie de l’église. Cette mesure est réclamée depuis des mois par les victimes présumées. « Cela aurait été une mesure forte qui aurait pu nous apaiser si le cardinal l’avait immédiatement prise. Cela aurait traduit la volonté de l’institution de reconnaître ses erreurs et de traiter cette affaire de manière responsable », estime Bertrand Virieux.
- Une tolérance zéro totale selon le diocèse
Pour l’église lyonnaise aussi, l’action de La Parole Libérée marque un tournant. « L’affaire Preynat a permis de clarifier ce qui ne l’était pas en matière de lutte contre la pédophilie. Avant, l’Eglise conjuguait la tolérance zéro au présent et au futur. Elle a depuis appris à la conjuguer au passé », indique-t-on à l’archevêché.
Dans les mesures annoncées en juin, le diocèse a en effet décidé que « tout prêtre ayant commis des faits d’agression sexuelle sur mineur, quelles que soient la date des faits et la date de découverte de ces faits, se verra écarté définitivement de tout ministère ». Ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Dans l’affaire Preynat, le prêtre, dont les agissements avaient été signalés par des familles à l’église dès les années 90, est resté en fonction jusqu’en août 2015, continuant notamment à occuper des fonctions auprès d’enfants.
La tolérance zéro affichée par l’Eglise doit permettre de rassurer les fidèles, sans toutefois révéler les noms des curés écartés. «Aujourd’hui, aucun prêtre suspect n’est en activité. Si les fidèles voient un homme d’Église célébrer la messe, ils peuvent être certains qu’il n’a pas commis d’actes répréhensibles connus sur des mineurs», estime-t-on à l’archevêché de Lyon. «Cela devrait suffire à les rassurer».
- Un tabou levé mais un malaise persistant
« La pédophilie dans l’église est désormais un tabou qu’on ne peut plus éluder. L’affaire Preynat a permis de révéler d’autres affaires. En racontant notre histoire, mon objectif était que Preynat soir rattrapé par la justice », indique Bertrand Virieux. « Un an plus tard, on se rend compte que différentes strates de l’église ont été touchées et qu’il ne s’agissait pas juste du cas isolé d’un prêtre malade mais d’un vrai système de couverture et de déplacement de prêtres pédophiles. Cela a démontré une sorte de négligence coupable des responsables de l’église », ajoute le quadragénaire.
Mis en cause par d’anciens scouts qui l’accusaient d’avoir couvert Preynat en ayant eu connaissance de son passé, le cardinal Barbarin a fait l'objet d'une enquête préliminaire, classée sans suite cet été. Mais d’autres recours pourraient être engagés par d’anciens scouts, qui au cours de l’année écoulée, ont déploré la gestion «calamiteuse» de cette affaire par l’Eglise lyonnaise, marquée par de multiples erreurs de communication et propos maladroits.
- Une prise en charge des victimes à améliorer
Au printemps, pour améliorer l’écoute des victimes d’abus sexuels commis par des hommes d’Église, le diocèse a mis en place une cellule d’écoute. Toute personne ayant besoin de signaler des faits ou voulant s’entretenir avec des psychologues est invitée à contacter le 04 78 814 845. En cas de nécessité, cet appel peut être suivi d’un entretien. Cette mesure était indispensable pour La Parole Libérée, qui garde un goût amer du traitement réservé à certaines victimes présumées du père Preynat.
«On nous a faits passer pour des anticléricaux qui voulaient s’attaquer à l’église au lieu de nous écouter. Cette affaire n’aurait jamais pris ce tournant si le diocèse nous avait entendus avec bienveillance», regrette l’une d’elles. «L’église dans sa globalité nous a extrêmement déçus. Heureusement, nous avons eu des contacts avec quelques prêtres, très peu nombreux qui ont exprimé une vraie sincérité une transparence et qui se sont positionnés du côté des victimes», ajoute François Devaux, blessé que les demandes d’entretien avec le Pape formulées par l’association soient toujours restées lettres mortes.
«Ne pas prendre position dans les affaires de pédophilie, c’est les pérenniser. On ne traitera pas ce problème tant qu’on aura au sein de l’institution cette attitude irresponsable», ajoute le président.