INTERVIEW« L’homme au Masque de fer était tout sauf un personnage lambda »

« L’homme au Masque de fer était tout sauf un personnage lambda »

INTERVIEWChristophe Roustan Delatour, directeur adjoint des musées de Cannes, qui abrite sur l’île Sainte-Marguerite l’ancienne cellule du Masque de fer, signe un livre enquête passionnant. Il part sur les traces de ce prisonnier, lié à jamais au Roi Soleil
Fabien Binacchi

Propos recueillis par Fabien Binacchi

L'essentiel

  • Depuis des siècles, le mystère de l’homme au Masque de fer a fait éclore de nombreuses théories, faisant se perdre en conjectures les plus éminents spécialistes.
  • Christophe Roustan Delatour, historien de l’art, directeur adjoint des musées de Cannes, dont celui de la mer, qui abrite l’ancienne cellule de cet illustre prisonnier, face à la Croisette, a repris l’affaire de zéro et sort un livre enquête.
  • Il y publie 45 révélations, « des petits détails parfois mais aussi des choses plus fortes, qui peuvent aider à combler le puzzle », dit-il, notamment sur l’histoire de cet homme dont la vie était, selon lui, intimement liée à celle de Louis XIV.

«Personne ne sait qui il est. Il y a défense de dire son nom et ordre de le tuer s’il le prononce ». Publiée en 1687, l’année de son incarcération au fort royal de l’île Sainte-Marguerite, une gazette janséniste donnait déjà le ton d’un mystère qui demeure depuis des siècles. Qui était l’homme au Masque de fer et pourquoi avait-il dû subir ce traitement ? Les spécialistes se sont perdus en conjectures. Et de nombreuses théories ont vu le jour. Christophe Roustan Delatour, historien de l’art, directeur adjoint des musées de Cannes, dont celui de la mer, qui abrite face à la Croisette l’ancienne cellule de cet illustre prisonnier, a repris l’affaire de zéro. Et il donne sa version.

Cet ancien de l’Ecole du Louvre vient de publier Le Masque de fer, un secret d’Etat révélé (ed. Favre, 552 p., 24,90 €), un impressionnant livre enquête sur les traces de cet homme dont les liens avec le Roi Soleil ne font, selon lui, plus de doute.

Il y a eu tout un tas de récits, des films… Tout semblait avoir été dit. Comment en êtes vous venu à l’idée d’écrire un nouveau livre sur le sujet ?

De par mon travail, je fréquente depuis plusieurs années l’ancienne prison d’État qui a été construite spécialement pour le Masque de fer sur l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes. J’ai passé beaucoup de temps dans sa cellule. Ça m’a permis de comprendre des choses, de m’imprégner des lieux. Et puis, j’ai eu une révélation en préparant une exposition sur le sujet [« L’homme au Masque de fer, un secret d’Etat », en 2019].



Selon la thèse dominante qui circulait depuis trente ans dans le milieu des historiens, et même pour le grand public, celle de Jean-Christian Petitfils, le Masque de fer était en fait un prisonnier lambda. Un valet, sans doute emprisonné par ce qu’il avait connu un secret, qui a été instrumentalisé, transformé en bête de foire par son geôlier, Monsieur de Saint-Mars. Ce serait finalement le délire personnel de quelqu’un qui voulait attirer l’attention en construisant un personnage de légende. C’était ça la théorie, un faux-semblant. Donc circulez, il n’y a rien à voir. Tout le monde cherche à comprendre et personne ne trouve la clé. Alors, au XXe siècle, en pleine période du postmodernisme, on s’est dit : "bon, ben, en fait, si on ne comprend pas, c’est parce qu’il n’y a rien à comprendre". Mais tout ça ne collait pas avec ce que j’observais sur le site. On a quand même construit une prison aux frais du roi. Créer une forteresse royale pour un personnage lambda, ça n’avait pas de sens. Il était tout l’inverse. Et en me plongeant dans les documents de l’époque, j’ai eu la confirmation : aucun n’appuyait la thèse de Petitfils. Alors, j’ai décidé de reprendre toutes les sources de zéro. Je savais qu’on n’aurait pas d’écrit attestant formellement de quoi que ce soit sur le fin mot de l’histoire. Si elle a existé, elle a été éliminée depuis longtemps. Mais comme dans un procès criminel, ce qu’on veut, c’est une intime conviction.

Vous avez donc envisagé le livre comme une enquête…

Oui, et il est construit en trois parties. Dans la première, on pose les choses. On refait toute sa carrière de prisonnier depuis le début et jusqu’à sa mort à la Bastille. Tous les faits, tous les documents sont mentionnés et référencés. La deuxième partie, c’est un traitement par thème : le geôlier, la prison sur mesure, le masque en tant qu’objet. Et dans la troisième, j’invite le lecteur à plonger profondément, comme Alice dans le terrier, dans la thèse que je développe. Et je préviens que je commence à construire une histoire. Qui était le masque de fer ? Qui pouvait-il être avant d’être arrêté ?


Dans le fort royal de l'île Sainte-Marguerite, la cellule de 30m2 construite pour l'homme au Masque de fer, était protégée par un sas équipé de deux lourdes portes
Dans le fort royal de l'île Sainte-Marguerite, la cellule de 30m2 construite pour l'homme au Masque de fer, était protégée par un sas équipé de deux lourdes portes  - F. Binacchi / ANP / 20 Minutes

Vous apportez des informations inédites. Comment est-ce possible après tant d’années et d’ouvrages sur le sujet ?

Car on continue de trouver de nouvelles sources, de nouveaux documents d’archives. Dans le livre, j’apporte 45 révélations, des petits détails parfois mais aussi des choses plus fortes, qui peuvent aider à combler le puzzle, en apportant des informations essentielles comme des connexions entre les personnes par exemple.

L’une d’entre elles concerne un masque de fer découvert à Langres…

Oui, et qui pourrait bien être LE masque de fer. C’est une pièce à mon avis unique, un vrai chef-d’œuvre par sa finesse et sa qualité d’exécution. Nous avions eu la chance de l’avoir en prêt lors de l’exposition de 2019 et quand j’en ai parlé avec des métallurgistes d’un lycée professionnel de Cannes, ils m’avaient dit : « ça, on ne sait pas faire ». Il avait été retrouvé avec une petite inscription, qui n’existe plus, mais qui pointait directement en direction du Masque de fer. Ce que j’ai découvert en plus, c’est une piste directe entre ce masque et le geôlier du prisonnier, Monsieur de Saint-Mars. A sa mort, ce dernier a légué ses biens au beau-père de l’un de ses fils qui étaient tous les deux décédés. Et il se trouve que cet homme-là et toute sa descendance habitaient à Langres.

Vous enquêtez sur les connexions avec Louis XIV…

On se rend compte que celui qui tire les ficelles, c’est bien le Roi soleil. Tout vient de lui. Et, là où je suis très fier du livre, c’est parce que je pense être le premier à vraiment révéler les fausses pistes, les leurres que ce dernier a envoyés pour détourner l’attention, pour faire passer le Masque de fer pour quelqu’un d’autre, pour semer la confusion.

Tout ça pour une bonne raison, car le Masque de fer était en fait exceptionnel ?

Oui, pour moi c’est une affaire personnelle, une affaire de famille. J’écris dès le départ que le Masque de fer s’appelle Eustache Dauger. Un document nous le dit. J’évacue tous les autres candidats possibles. Mais qui était-il ? La question est de savoir si cet homme-là pourrait être la même personne qu’un autre Eustache Dauger, Eustache Dauger de Cavoye. On a deux homonymes et finalement tout un faisceau d’indices qui le confirme. Et, là, nous n’avons pas affaire à n’importe quel hobereau de province. C’est un ami d’enfance de Louis XIV, élevé avec Louis XIV, dont le propre frère a été l’ami intime de Louis XIV pendant toute sa vie. Finalement, Eustache Dauger pourrait être le demi-frère du roi, qui ne serait donc pas le fils de Louis XIII et ça, ça justifierait beaucoup de choses. Le masque ? Il y aurait peut-être une ressemblance gênante. Et surtout, pourquoi on ne l’a pas tout simplement supprimé ? Ça aurait été facile. Il suffisait de le mettre quelque temps au pain dur, et c’était terminé. Pourquoi prend-on le risque de garder cet homme-là ? Pourquoi on ne l’a pas supprimé d’emblée et pourquoi ce traitement de faveur ? Ce complot aurait finalement été monté pour cacher la bâtardise de Louis XIV.

Peut-on imaginer, un jour, pouvoir obtenir une preuve formelle de cette théorie-là ?

On pourrait scientifiquement la confirmer par l’ADN. Mais pour ça, il faudrait des moyens. Et surtout trouver de l’ADN. On sait où repose la dépouille du Masque de fer. Mais ce n’est pas simple. Elle est quelque part dans les catacombes, avec 6 millions d’autres cadavres. Aujourd’hui, ça paraît compliqué. Mais dans vingt ans, on ne sait pas.