« Aucune terre n’est la sienne » de Prajwal Parajuly : Les huit facettes d’un Népal universel
RENTREE LITTERAIRE•« Aucune terre n’est la sienne » de Prajwal Parajuly est paru en septembre 2022 chez Emmanuelle CollasMarceline Bodier membre de la communauté 20 Minutes Livres.
L'essentiel
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- Aujourd’hui, « Aucune terre n’est la sienne » de Prajwal Parajuly, paru le 9 septembre 2022 aux Éditions Emmanuelle Collas.
Marceline Bodier, bookstagrammeuse et contributrice du groupe de lecture 20 Minutes Livres, vous recommande Aucune terre n’est la sienne de Prajwal Parajuly, paru le 9 septembre 2022 aux Éditions Emmanuelle Collas.
Sa citation préférée :
« Lorsque j’apprenais aux gens que j’étais d’origine népalaise, ils me demandaient aussitôt si j’avais escaladé le mont Everest. Quand je leur répondais que non, et qu’aucune de mes connaissances ne l’avait fait, ils étaient déçus. Si je précisais que je venais de Darjeeling, la plupart me posaient des questions sur le thé. Et quand je leur avouais que je n’en buvais pas, et que j’étais par conséquent incapable de faire la différence entre une variété et une autre, ils paraissaient perplexes. »
Pourquoi ce livre ?
- Parce que c’est un recueil de nouvelles avec un fil conducteur : « la vie des Népalais au Népal, au Bhoutan, en Inde et ailleurs », comme le rappelle l’auteur dans l’interview qui clôt le livre. Même à Manhattan, les rencontres et plus encore, les malentendus, se nouent sur des détails terriblement révélateurs : l’emploi d’un mot, l’usage des épices… c’est la notion d’identité qui se joue, mais pour nous, lecteurs occidentaux qui découvrons une culture, c’est un voyage qui dépayse tout autant qu’il rassure lorsque nous retrouvons les mêmes rêves – et les mêmes mesquineries – que les nôtres.
- Parce que chaque nouvelle a son charme, mais la presse américaine a sa préférée : « Les immigrés », « magnifiquement subtile » d’après le Financial Times. De fait, elle commence comme un cas d’école marxiste (un jeune universitaire indien semble se sentir plus proche d’une riche new-yorkaise, dont il partage la classe sociale, que d’une jeune domestique népalaise dont il partage l’origine ethnique), continue comme un roman de Gide (on croyait avoir vite compris, mais tout n’est que malentendus), et se termine comme un roman de Jane Austen (quoique… pas tout à fait, justement).
- Parce que la nouvelle qui donne son titre à la traduction française du recueil se passe au Népal, dans un camp de réfugiés népalophones originaires du Bhoutan. Elle aurait pu être écrite en commençant par la fin : une journaliste fait en photo le « portrait parfait d’une famille parfaite », candidate à l’immigration vers les États-Unis. Mais jusqu’à quelles compromissions est allée Anamika, la mère sur la photo, pour trouver une terre, entre son Bhoutan natal qui a expulsé 106.000 des siens, le Népal, qui les tolère dans un camp précaire, et l’Occident, qui les accueille au compte-goutte ?
- Parce que le titre de la nouvelle qui donne son titre original au recueil, The Gurkha’s daughter, a été traduit par La fille du soldat. Inutile de garder le mot « Gurkha », bien sûr, puisqu’il n’ouvre pas pour nous sur le même imaginaire de féroces mercenaires que dans l’empire britannique… et que l’histoire ne nous présente deux Gurkhas qu’au travers de leurs fillettes, qui jouent à être leurs pères. L’histoire en devient poignante, parce qu’elles ne comprennent pas les enjeux qu’elles rejouent, mais les font comprendre au lecteur, spectateur impuissant des rêves brisés de leurs familles.
- Parce que pour ma part, c’est Folie passagère qui m’a terrassée. Un couple vieillissant plonge dans l’angoisse de la retraite que chacun affronte seul, tout en conservant des habitudes à deux. La femme change, confie ses pensées au lecteur, qui sait ainsi que ce n’est ni son mari, ni ce qu’ils ont vécu, qui la fait changer, mais une folie bien passagère et bien modeste… sauf que son mari ne saura jamais le rôle qu’a joué monsieur Bhattarai. Au final, comme dans un roman d’Ishiguro, il ne s’est presque rien passé en apparence, mais à l’intérieur, plus rien ne sera comme avant. Magistral.
- Parce qu’il faudrait bien plus de vingt minutes pour parler de la nouvelle préférée de l’auteur (Bénédiction manquée, où un jeune homme torpille ses propres sacrifices), des textes au féminisme déconcertant (Un sujet qui fâche, seule nouvelle à chute du recueil ; Itinéraire d’un père, poignant dans la manière dont sont mis en parallèle la faillite d’un couple de Brahmanes qui préserve les apparences et les aspirations de leur fille), et de la terrible (im) puissance des rêves au cœur du Bec-de-lièvre. Mais je ne regrette rien, car comment pourriez-vous ne pas les lire ?
L’essentiel en 2 minutes
L’intrigue. Au fil de huit nouvelles, nous croisons des rêves de Bollywood, des mariages aux coulisses bien plus intéressantes que les apparences, des photos qui montrent l’inverse de ce qu’elles devraient, des rencontres improbables à l’autre bout du monde… et toujours et partout, la même nature humaine.
Les personnages. Comme l’auteur, la diaspora népalaise et les népalophones mis en scène dans le recueil viennent d’une région « d’une beauté folle », mais qui est bien loin de les résumer : comme lui, ils pourraient affirmer « J’ai de multiples identités, mais c’est le cas de tout le monde, non ? »
Les lieux. Ce ne sont pas les stéréotypes qui manquent sur le Népal (un pays qui se résumerait à l’Everest), ni sur le Bhoutan (le pays qui a inventé le Bonheur National Brut en 1972). Prajwal Parajuly ne le sait que trop, lui qui vient de l’État indien situé entre les deux, le Sikkim… vous le connaissiez ?
L’époque. Le recueil se passe dans l’Inde contemporaine, mais ce sont des traditions millénaires qui pèsent sur les décisions des protagonistes : castes et religions, fêtes et cérémonies, qui donnent leur épaisseur à des personnages qui finissent toujours par agir contre eux-mêmes, et pourraient être nous.
L’auteur. Nous avons découvert l’auteur avec l’excellent « Fuir et revenir », prix littéraire 2022 de la chambre de commerce franco-indienne, et nous le retrouvons avec « Aucune terre n’est la sienne », recueil très remarqué en Inde et dans le monde anglo-saxon. Il nous parle d’ailleurs, autant que de nous.
Ce livre a été lu avec passion. Dans l’interview qui clôt le livre, l’auteur affirme qu’il a « toujours préféré créer des personnages féminins plutôt que des personnages masculins ». N’y voyez aucune appropriation : je me suis identifiée autant aux hommes qu’aux femmes… sans doute parce que tous sont universels.
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