Dragon Ball revient en librairie mais il n'avait pas disparu sur la toile
MANGA•En marge du retour du manga culte en librairie le 5 avril, nous avons cherché à savoir pourquoi plusieurs milliers de fans s'évertuaient encore à poursuivre le travail commencé par Akira Toriyama en 1984...Antoine Magallon
C’est désormais officiel. 17 ans après la publication du dernier tome en France, le manga culte Dragon Ball va faire son retour en librairie. C’est Glénat, l’éditeur des aventures imaginées depuis 1984 par Akira Toriyama, qui a annoncé la nouvelle ( les premières planches sont disponibles ici). Une sortie sous format papier qui fait suite à la diffusion, depuis juillet 2015 au Japon, de nouveaux épisodes mettant en scène Sangoku, Végéta, Trunks et tous les autres… baptisée Dragon Ball Super.
Pourtant, il serait totalement faux de croire que pendant 20 ans rien n’a été écrit sur les Saiyans. Une communauté active s’est créée et structurée autour de forums pour continuer à faire vivre le manga. Selon Fanfiction.net, le site de référence en la matière, environs 49 700 fans fictions, c’est-à-dire des récits écrit pour prolonger, amender ou même totalement transformer un produit médiatique, ont été imaginées autour de cet univers.
2,7 millions de visites
Certaines œuvres de fans, comme Dragon Ball Multiverse, sont même devenues incroyablement populaires. « Sur des forums j’ai remarqué que beaucoup de discussion tournaient autour de la puissance des combattants. Si tel personnage avait affronté tel autre qui aurait gagné ? Qui est le meilleur ? Et c’est comme ça que j’ai eu l’idée d’imaginer un grand tournoi ou tous pourraient se rencontrer », explique Salagir, le scénariste. Crée en 2008, www.dragonball-multiverse.com se compose aujourd’hui de « 30 à 40 bénévoles » et reçoit « près de 90 000 visites par jour, soit environ 2,7 millions par mois avec des pages traduites dans une trentaine de langues », avance Thibarik, leur chargé de communication.
Nous avons donc cherché à comprendre pourquoi des milliers de combats épiques et interminables à base de kaméhaméha sont recréés et lus chaque jour par des passionnés du monde entier.
Génération club Dorothée
Remontons un peu dans le temps. En France, Dragon ball, c’est d’abord une série animée, diffusée tous les mercredis pendant le Club Dorothée et qui « va toucher toute une classe d’âge », explique Bounthavy Suvilay, une doctorante qui prépare actuellement une thèse autour de l’œuvre et de ses réappropriations culturelles. Ensuite ce sont les rediffusions, la publication des tomes et les multiples jeux vidéo (quasiment soixante édités sur toutes les consoles possibles de 1986 à 2016) qui « vont drainer un nouveau public », asseoir la renommée du manga et inspirer des milliers d’auteurs. Si bien qu’en 2017 Sangoku est toujours occupé à casser les bouches des super méchants pour sauver la terre.
Pourtant, un nombre conséquent d’histoires le mettent aussi en scène dans des situations plus rocambolesques. Romances, parodies humoristiques, duels contre des Pokémon, des héros Marvel ou encore Godzilla… la galaxie des fans fictions ne se limite pas à des adaptations fidèles à l’esprit original. « Dargon Ball Multivers (évoqué plus haut) fonctionne grâce à des interpolations », explique Bounthavy Suvilay. C’est-à-dire que les auteurs ajoutent des éléments, comblent les vides, explorent des pistes présentes dans les mangas tout en restant dans un univers proche de l’histoire de base. « Mais comme le nombre de texte publié est immense, certains écrivains imaginent des détournements. Il n’y a pas de règles. »
Timelan (pseudo) habite en banlieue parisienne et écrit des fans fictions à base de Super Saiyans depuis trois ans et demi. Pourtant elle avoue elle-même « ne pas être très au fait de l’actualité de Dragon ball, ni même une grande puriste de l’anthologie ». Parmi ses créations, beaucoup évoquent des relations amoureuses. « J’ai conscience d’être un peu différente. Mon souhait c’est de garder les personnages, que j’aime beaucoup, mais de les placer dans un monde plus réaliste ». Cynthia, 24 ans, alias Yuirii, joue elle aussi sur le même créneau. « J’ai toujours été fan de Végéta. Mais comme Dragon Ball, à l’origine, est un manga plutôt destiné aux garçons, l’histoire principale porte sur les batailles. Moi j’ai toujours été un peu déçue de ne pas voir l’évolution de la relation entre lui et Bulma. »
Ecole de l’écriture
Peu importe l’histoire et peu importe le nombre de lecteurs, les fans fictions ont surtout permis à des internautes, souvent jeunes, de prendre la plume pour la première fois et d’oser publier leurs créations. « J’ai commencé en 2008, explique Cynthia. J’avais lu pas mal de fans fictions, qui m’ont donné envie de m’amuser à faire "vivre" mes personnages préférés, mais avant je n’avais jamais rien écrit ». Les nombreux forums offrent aussi aux débutants la possibilité d’entrer en contact avec une communauté réactive mais surtout réceptive. « En matière de fan fiction on peut accepter de lire des choses pas très bonnes. L’important c’est que les auteurs donnent au public ce qu’il demande : une continuation de l’œuvre avec des caractères bien précis, des relations spécifiques entre les personnages et un univers reconnaissable. C’est très particulier comme exercice », analyse Alixe, créatrice du site etude.fanfiction.free.fr.
Enfin, si Dragon Ball déchaîne toujours les imaginaires malgré les années c’est aussi parce qu’une fan base s’est formée et s’est structurée autour de ce manga. « On va avoir envie de nous exprimer sur ce qui nous touche, ce qui nous plaît le plus, mais partager ses textes sur un fandom ou il n’y a que 3 personnes ce n’est pas encourageant », détaille Alixe. C’est pour cette raison que de nombreux auteurs expliquent, dans leur web-présentation, travailler sur plusieurs univers en même temps. Publier sur un sujet très populaire « peut permettre de gagner beaucoup plus de lecteurs et de commentaires », soit autant d’interactions ou même d’encouragements. Il s’agit donc d’un cercle vertueux. La célébrité du manga d’Akira Toriyama invite des auteurs qui ne sont pas forcément des immenses fans, mais qui aiment écrire, à participer à l’élaboration de nouvelles aventures.
Peut-on alors établir un lien direct entre les milliers de fans fictions et le retour aux affaires de Sangoku ? « J’ai l’impression, explique Salagir, le scénariste de Dragon Ball Multivers. Les ayants droit ont bien vu que les fans ne voulaient pas laisser mourir le manga, ne voulaient pas lâcher le morceau. Ils ont vu que le succès ne s’est jamais arrêté, même après 20 ans. » Reste à voir si la nouvelle saga relancera l’interet des passionnés pour les vingt années à venir.