Et si on réinventait la forme du roman en 2017?
LECTURE•Cette année de nombreuses entreprises et maisons d’édition veulent donner un coup de jeune aux romans…Thomas Weill
Face à la vague du digital, tous les champs culturels se sont mis au pas. Seul le roman semble résister à la déferlante, pour rester résolument fidèle à lui-même. C’est sans compter sur une myriade de jeunes pousses et éditeurs qui élaborent des projets littéraires visant à offrir une nouvelle approche du roman. Dessinent-ils aujourd’hui l’ébauche de ce que sera le roman de demain ?
Le constat de départ était simple. « Toutes les industries culturelles ont fait leur transition digitale. Pourquoi pas le livre ? » Il y a bien le livre numérique, mais son succès reste mitigé. Cette réflexion a conduit Bertrand Meslier à créer Adrénalivre, mélange de genres entre les « livres dont vous êtes le héros » et les « jeux vidéos à fort caractère narratif » dont il est féru. « On fait des livres dont vous êtes le héro, mais on les fait 2.0 », résume le co-fondateur. Les choix que fera le lecteur auront un impact direct sur l’histoire. « Nous proposons quasiment une histoire pour un lecteur. Pour faire évoluer le livre, il peut l’explorer comme un monde ouvert dans les jeux vidéo. » Un livre totalement interactif et novateur.
L’échec commercial des tentatives d’innovation
En tous cas dans la manière d’exploiter les possibilités du numérique. Mais à en croire le chercheur au CNRS et à l’université de Paris-Sorbonne en littérature française et théorie littéraire Alexandre Gefen, pas si innovant que ça sur l’idée. « Diderot avait déjà inventé un romain interactif avec Jacques le fataliste et son maître [1796] avec plusieurs façons de lire le personnage. Le roman est en renouvellement perpétuel, les innovations sont déjà dans son ADN. »
Pourtant le roman ne parvient pas vraiment à se réécrire. « En termes de part de marché, ces tentatives sont des échecs. Aucun livre interactif n’est passé à la postérité, assène Alexandre Gefen. Les start-up échouent alors que le livre papier [au format conventionnel] continue de peser massivement », insiste le chercheur, qui semble tout de même regretter le revers commercial des formes nouvelles.
Avec « 2.000 téléchargements par livre » depuis novembre pour un objectif de 5.000 en mars, les audiences des romans d’Adrénalivre se trouvent en effet un peu en deçà des attentes de Bertrand Meslier. « On ne sait pas encore si nous nous adressons en priorité aux lecteurs ou aux joueurs », justifie-t-il. Il s’agirait bien là, pour Alexandre Gefen, du cœur du problème. Le risque du mélange de genre c’est que personne ne s’y retrouve. « Ceux qui cherchent une vraie expérience de lecture sont déçus », idem pour les personnes qui viennent à ce type d’ouvrage par leur intérêt pour le jeu.
Le pari d’une publication à rendez-vous
Un exemple semble aller à l’encontre de l’analyse du chercheur. Le 5 janvier prochain, le premier tome de Calendar girl, écrit par Audrey Carlan, sortira dans les librairies après avoir déjà rencontré un fort succès (6,5 millions d’exemplaires écoulés) aux Etats-Unis. « L’innovation de cette série de romans c’est la publication au rythme d’un livre par mois pendant un an », explique l’éditrice Benita Rolland qui s’est occupée du livre pour la maison d’édition Hugo & Cie. Nuance toute même, ce rythme de publication n’a été choisi qu’en France.
Mais les douze tomes de Calendar girl rappellent tout de même l’univers des séries télé grâce au suspens. « C’est addictif, à la fin de chaque tome on a envie de savoir ce qui va se passer après. L’écriture est rapide, ça va vite, le personnage principal est une jeune fille forte vraiment dans l’ère du temps et semblable aux protagonistes qu’on voit dans les séries. » A voir si le pari de Bénita Rolland sur le rythme de publication sera gagnant en France.
Le roman refuge
Après tout pour Alexandre Gefen, le livre tel qu’on le connaît devient de plus en plus un refuge. « C’est un repos par rapport à un monde hyper connecté. Tout le paradoxe est là. Le livre dans ce qu’il peut avoir de presque monotone dans un monde saturé est finalement le produit le plus novateur que l’histoire du livre ait inventé ». Pour le chercheur, l’avenir du roman ne se trouve pas tant dans un nouveau format éventuel que dans une autre pratique de la lecture ou de l’écriture, plus « sociale ». Pêle-mêle, il évoque « les fans fictions, les écrits partagés sur Internet, les écrits personnels, tout ce qui relève de la rédaction à plusieurs ou de l’écriture partagée ».
Le chercheur relève une exception. « On retrouve dans certains domaines des livres interactifs qui connaissent un vrai succès, comme les guides de voyage, les catalogues d’expositions, ou les livres de cuisine aussi. » Mais tout (ou presque) porte à croire que le roman de demain soit déjà celui d’aujourd’hui.