"Comme un chant d'espérance" de Jean d' Ormesson chez Ed. Héloïse d'Ormesson (Paris, France)
en partenariat avec 20minutes.fr
- Auteur : Jean d' Ormesson
- Genre : Romans et nouvelles - français
- Editeur : Ed. Héloïse d'Ormesson, Paris, France
- Prix : 16.00 €
- Date de sortie : 12/06/2014
- GENCOD : 9782350872766
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
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Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-C
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
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Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le F
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
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Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formid
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson
Courrier des auteurs le 12/03/2015
Nicolas Stoufflet, formidable producteur du Jeu des mille euros sur France Inter, va offrir à ses auditeurs le Livre-CD "Le Fleuve tendre". Jean d'Ormesson répond dans ce Livre-CD soutenu par les libraires de France aux questions des internautes
Quand j'étais enfant, l'idée d'écrire des livres ne me passait pas du tout par la tête. Et à 20 ans, à 25 ans l'idée d'écrire des livres ne me venait absolument pas à l'esprit, non pas parce que je ne connaissais pas la littérature, mais parce que je la connaissais un peu, et je trouvais inutile d'ajouter quelque chose à Eschyle, à Sophocle, à Cervantès, à Rabelais, à Flaubert...
Pourquoi ai-je fait le pas de l'écriture ? J'ai un peu honte, car le motif est un peu risible : c'était pour plaire à une fille, que j'ai écrit mon premier livre... disons le franchement, c'était tout à fait inutile...
Une fois que le pli a été pris, j'ai écrit plusieurs livres, mais c'est vrai que j'ai abandonné la littérature assez vite, j'ai écrit un dernier livre qui s'appelait «Au revoir, et merci». Je comptais ne plus écrire, j'étais à l'Unesco, je m'occupais de Sciences humaines, je me suis dit que le roman des Sciences humaines serait quelque chose d'extraordinaire, j'ai écrit un livre de 600 pages, qui a été refusé par plusieurs éditeurs, qui s'appelait La Gloire de l'Empire, puis qui a été publié par Gallimard, et qui a été très bien accueilli...
Je n'ai pas de rituels d'écrivain, je suis assez libre à cet égard-là, je n'ai absolument pas l'inquiétude de la page blanche, je peux écrire à peu près n'importe où, à condition que j'ai du calme...
Mais j'ai l'inquiétude de la page écrite : une fois que la page est écrite, je la corrige indéfiniment...
J'ai quelques rites névrotiques, qui sont liés plutôt aux crayons : si j'ai commencé à écrire avec un crayon, il vaut mieux que je ne perde pas ce crayon... car ce crayon a quelque chose de sacré, et je peux passer des heures à le chercher, si je l'ai perdu... J'écris à la main, et si je perds le crayon, c'est un drame...
Plus que l'inspiration, je crois au travail... il est vrai que pour ce dernier livre «Comme un chant d'espérance» j'ai presque l'impression que je copiais quelque chose qui était déjà là... On peut appeler cela de l'inspiration, mais c'était plutôt une espèce d'attention à un travail intérieur qui s'était fait depuis des années...
Quand on me demande lequel de mes livres je préfère, c'est à peu près comme si l'on demandait à une femme quel est celui de ses enfants qu'elle préfère ! Il serait très rare qu'elle réponde Paul, plutôt que Julie, ou Sophie, on aime tous ses enfants, on aime tous ses livres..
De la même façon, il paraît qu'il peut y avoir un baby blues à la naissance d'un enfant... Une fois que le livre vient de paraître, je suis pris d'une espèce de grande mélancolie, il y a certainement un «book blues»...
Écrire est très très difficile, et combien de fois je me suis dit A quoi bon, il vaudrait mieux prendre un autre métier, pourquoi est-on écrivain ? Le premier conseil que j'ai envie de donner à un jeune, c'est «n'écrivez pas !, C'est tellement dur !»
Mais au milieu de cette souffrance (car l'écriture est une souffrance), il y la Joie.
Oui, écrire est une Joie ET une souffrance...
Parfois on se dit, deux ou trois fois par livre, «cette page là ça va» : alors la joie l'emporte sur l'angoisse.
Il y a une grande angoisse liée à l'écriture : si je n'écris pas je suis évidemment très angoissé, mais quand j'écris je suis aussi très angoissé !
L'angoisse entre deux livres est destructrice, ce sont de grandes souffrances, alors il faut se remettre à écrire, mais écrire c'est une tâche infinie...
Un jeune lycéen m'avait demandé lors d'une rencontre dans son lycée, être écrivain, n'est-ce pas être médecin ? C'était une très bonne question : au fond entre un psychanalyste et un écrivain, il y a assez peu de différences...
Chacun a un destin, moi j'ai fini par devenir une «machine» à écrire des livres, mais il faut éviter que ce soit une routine, il faut veiller à ce qu'il y ait une sorte de renouvellement, de jaillissement, de fontaine...
Quand j'écris je ne lis pas ! Ou bien je lis des chefs d'oeuvre, et ça me décourage, ou bien je lis des choses beaucoup plus faibles, et j'ai l'impression de perdre mon temps...
Je me souviens très bien, j'avais deux livres sur ma table de chevet : il y avait «Le soleil se lève aussi» (Hemingway) et «Le Paysan de Paris» (Aragon). Dans «Le soleil se lève aussi» le matador, dont Brett est amoureuse, est tellement mince qu'il lui faut un chausse pied pour entrer dans sa culotte... Les larmes aux yeux, je feuilletais ces deux livres et me disais que je n'y arriverais jamais... Ces livres m'écrasaient !
J'ai essayé dans «Comme un chant d'espérance» d'aller à l'essentiel, et surtout dans chaque paragraphe.
J'ai voulu garder du roman cette espèce d'impatience de savoir ce qu'il va se passer après... on lit tellement de livres où l'on n'a pas envie de continuer...
Il faudrait toujours essayer que le lecteur se dise «je voudrais avancer dans le livre» et quand il arrive vers la fin, il faut que le lecteur se dise «quel dommage que ce soit déjà fini !»
Il faudrait écrire un livre pour que lecteur soit pressé de le retrouver comme une personne aimée...
Merci à Florence (Chartres) Francine (Bois Le Roi), Alain (Darnétal), Joyce (Ramatuelle), Nicole (Bruay en Artois), Maxime (Joué les Tours), Denis (Chantilly), Emilie (Thonon Les Bains), Caroline (Egreville)
Courrier des auteurs le 23/12/2014
Jean d'Ormesson, pour Le Courrier des auteurs, sur une idée des libraires, évoque le mot «Consolation»
La consolation c'est un beau thème qui fait penser tout de suite à Boèce, le philosophe latin qui, condamné à mort, a écrit «Consolation de la philosophie». Qui faut-il consoler ? D'abord les autres, puis souvent soi-même.
Personnellement je n'ai pas réellement besoin de consolation, parce que je ne suis pas attristé, je suis un lecteur de Spinoza, je pense qu'il faut éviter la tristesse le plus possible, il faut être heureux de cette vie qui nous est donnée. Donc je n'ai pas vraiment besoin de consolation, mais il y a des gens autour de moi qui ont besoin de consolation et j'essaye quelques fois de les consoler.
Je prononce plus souvent le mot de compassion, ou le mot de charité, que le mot consolation... Et je ne pense pas que l'écriture soit une vraie consolation... mais une thérapie peut être ?
Je préfère le mot «espérance» au mot «consolation», car je préfère l'avenir au passé : au lieu de réparer les dégâts passés, il vaut mieux préparer les joies à venir...
Mes parents m'avaient appris que l'on ne se plaignait pas... On essaye de faire ce qu'il faut, mais on ne se plaint pas...
Mes parents m'ont d'ailleurs appris deux choses : en un, qu'il fallait travailler : ils m'ont appris le travail. Et en deux : ne t'occupe pas seulement de toi, occupe-toi des autres. Et là il y a déjà une idée de consolation.
J'ai comme tout le monde des moments de mélancolie, je dirais presque que ma gaité est la forme de ma mélancolie. Quand je suis mélancolique, je me laisse aller à la mélancolie, je ne cherche pas à la fuir, je ne cherche pas la consolation, je me dis qu'il faut aller jusqu'au fond de la mélancolie. Puis on en surgit lavés, prêts aux combats de l'avenir...
Il y a sûrement beaucoup de gens pour qui l'écriture est la consolation de la vie. Pour moi l'écriture se confond plutôt avec la vie, je suis chez moi dans l'écriture.
Bien sûr j'aime et respecte la fragilité : il y a même tout un côté de la force que je redoute et combattrais plutôt.
Je préfère sûrement la fragilité à la force trop sûre d'elle...
Jean d'Ormesson