LE TRavail, c’est la durée« Nous ne voulions pas laisser le village sans boulangerie »

Retraites dans le Pas-de-Calais : Un couple de boulangers ne veut « pas laisser le village sans boulangerie »

LE TRavail, c’est la duréeA l’heure du débat sur la réforme des retraites, des Français continuent, par passion ou contrainte, de travailler après l’âge légal. Dans le Pas-de-Calais, un couple de boulangers doit stopper pour des raisons de santé
Gilles Durand

Gilles Durand

L'essentiel

  • Le projet gouvernemental de réforme des retraites, qui vise à reculer l’âge légal de départ à la retraite, est vivement contesté depuis janvier.
  • En France, il est possible de travailler jusqu’à la fin de ses jours. Un salarié du secteur privé peut toutefois être contraint par son employeur de stopper son activité à partir de l’âge de 70 ans. Idem dans le secteur public, à partir de 67 ans.
  • Dans le Pas-de-Calais, un couple de boulangers a choisi, pour différentes raisons, de repousser son départ.

Dans son fournil, il ne parvient plus à se déplier. A 65 ans, Jean-Michel Mocquant porte, sur le dos, le poids d’une vie de labeur et marche courbé. Voilà quarante et un ans qu’il tient, avec sa femme Maryse, une boulangerie-pâtisserie à Vis-en-Artois, un petit village du Pas-de-Calais, située sur une départementale passante entre Arras et Cambrai. Aujourd’hui, tous deux sont au bout du rouleau. Et la santé a eu raison de leur passion pour le boulot.

« Voilà cinq générations que nous sommes boulangers, raconte Jean-Michel Mocquant. Sans ces problèmes de santé, nous aurions continué. » La lignée va s’éteindre faute de candidats dans la famille. Car le couple a pris sa décision. Dans quelques semaines, ils vont mettre la clé sous la porte et profiter de leur retraite. « En quarante et un ans, nous n’avons pris, en tout et pour tout, que neuf semaines de congé », note-t-il.

Vente du magasin compliquée

« Tous les jours, Jean-Michel se lève à 2h30 pour préparer le pain, et moi à 5h30 pour organiser le magasin et les tournées dans les villages alentour », souligne Maryse Mocquant. Voilà quatre ou cinq ans qu’ils envisagent de vendre leur commerce pour passer à autre chose. « Nos enfants nous incitent fortement à arrêter », reconnaît Maryse qui porte aussi les stigmates de la fatigue sur le visage.



Mais la décision a été dure à prendre. Petite retraite, nostalgie et bisbilles immobilières ont compliqué la situation. « Nous ne voulions pas laisser le village sans boulangerie, mais la vente du magasin est très compliquée. Nous avions un acheteur potentiel l’an dernier. Il n’est jamais venu signer l’acte de vente », déplore la sexagénaire. L’affaire est entre les mains de la justice.

« J’ai commencé à travailler à 14 ans »

La réalité, c’est que le couple reste fortement attaché à son métier. « C’est la grand-mère de Jean-Michel qui m’a initiée au commerce. Jusqu’à l’âge de 75 ans, elle a tenu une librairie-épicerie à Arras que je fréquentais quand j’étais au lycée », se souvient-elle. L’appréhension est grande. « J’avoue avoir un peu peur du vide que ça va créer dans ma vie. On est en permanence en contact avec les gens. Est-ce que ça ne va pas me manquer ? », s’interroge-t-elle. Pour son mari, la priorité sera de se faire opérer. Il souffre notamment d’arthrose aux genoux et la position courbée, en permanence, lui a cassé le dos. « J’étais trop grand pour des machines standardisées, indique-t-il. Et puis, c’est un métier physique, toujours dans l’humidité et la chaleur. Mon père avait dû arrêter à cause d’une allergie à la farine quand le pain était encore pétri à la main. »

Néanmoins, il ne ressent aucun regret. « Si c’était comme avant, j’aurais pu partir à la retraite à 57 ans, car j’ai commencé à travailler à 14 ans, mais j’ai fait ça par passion, poursuit Jean-Michel. Je suis tombé dedans quand j’étais petit, même si mes parents ne voulaient pas que je fasse ce métier. »


NOTRE DOSSIER SUR LES RETRAITES

Le projet de réforme ? Il le vit avec fatalisme. « Il n’y a plus assez de gens qui travaillent pour payer les retraités, alors… Mais il faudrait mettre aussi les jeunes au travail. Sinon, on ne peut pas s’en sortir », glisse-t-il, satisfait d’avoir su résister autant d’années à la concurrence d’un supermarché, « tout en gardant le personnel qu’on ne voulait pas licencier ». Si l’après est déjà dans les têtes, une dernière préoccupation inquiète le couple : la facture d’électricité, dont le blocage se termine à la fin du mois de mars. Cet argument supplémentaire leur fait dire qu’ils ont enfin fait le bon choix en voulant « profiter des petits-enfants et des amis ».

A 83 ans, une commerçante baisse aussi le rideau

A Riencourt-lès-Cagnicourt, à quelques kilomètres de Vis-en-Artois, un autre magasin historique va fermer dans les semaines qui viennent. A 83 ans, Marie-José Milhomme a décidé de baisser le rideau après 46 ans de gestion de sa petite épicerie-tabac. « La caisse de retraite me demande près de 5.000 euros par an, explique-t-elle à 20 Minutes. Pour un petit commerce comme le mien, ce n’est plus possible. »

Elle a donc décidé de goûter un repos bien mérité, mettant fin à trois générations d’épiciers dans ce village de presque 300 habitants. Depuis la mort de sa sœur, il y a trois ans, la motivation a baissé. « Pour nous deux, la vie, c’était le commerce. On se portait mutuellement ». Elles avaient repris le magasin familial au moment de l’arrivée des grandes surfaces. Elles ont su résister pendant près d’un demi-siècle.