CULTUREUn livre pour « retracer les dernières traces de "polonité" » dans le Nord

Nord : Un livre pour « retracer les dernières traces de "polonité" », cent ans après l’émigration polonaise

CULTUREA l’occasion du centenaire du début de l’émigration polonaise massive dans le Nord, 20 Minutes revient sur les traces qu’il en reste avec le travail d’une enseignante-chercheuse
Gilles Durand

Propos recueillis par Gilles Durand

L'essentiel

  • Une exposition du Louvre-Lens, célébrant le centenaire de l’immigration massive de Polonais dans les mines de charbon nordistes, se termine lundi.
  • Une enseignante-chercheuse, Monika Salmon-Siama, publie un livre retraçant l’histoire de la « polonité » à travers les objets qui ont traversé le siècle.
  • Cette chercheuse estime que l’identification polonaise est en train de disparaître dans le Nord.

Que reste-t-il de la « polonité » dans le Nord-Pas-de-Calais ? Pour célébrer le centenaire du début de l’immigration massive de Polonais dans les mines de charbon nordistes, le musée du Louvre-Lens a monté deux expositions, dont l’une se termine lundi*. En février, sortira un livre intitulé Cent objets (ou plus) pour cent ans de présence polonaise dans le Nord de la France. 20 Minutes a interrogé l’auteur de cet ouvrage, Monika Salmon-Siama, enseignante-chercheuse spécialiste de l’émigration polonaise.

Comment vous êtes-vous intéressée à cette histoire d’immigration polonaise ?

Je suis née en Pologne et je suis arrivée en France il y a vingt ans pour finir mes études. Au fil des ans, j’ai noué des contacts avec les descendants de la communauté polonaise du Nord – Pas-de-Calais et je me suis intéressée aux traces qu’ont laissées les nombreuses activités culturelles de ces émigrés.

Que reste-il aujourd’hui de cette culture qu’on appelle « polonité » ?

Les jeunes générations ont oublié. A l’université de Lille, par exemple, lors de la dernière rentrée scolaire, il ne restait que cinq étudiants en parcours recherche, mais on n’enseigne plus l’histoire et la culture polonaises pour des spécialistes. On constate une disparition des lieux de « polonité » ou alors, par simple nostalgie. D’où l’idée d’un ouvrage qui retrace les dernières traces à travers des objets.

Photo du départ d'émigrés polonais de Myslowice, à une date non précisée.
Photo du départ d'émigrés polonais de Myslowice, à une date non précisée. - M. S.-S.

Pourquoi cet oubli ?

La vie associative qui était foisonnante, dans l’entre-deux-guerre et après 1945, avait un sens pour maintenir un lien avec la patrie. Avec la disparition du rideau de fer qui isolait les pays de l’est de l’Europe, ce besoin d’identification n’est plus nécessaire.

Comment avez-vous travaillé ?

J’ai consulté beaucoup d’archives photographiques privées, notamment autour de l’œuvre de Kasimir Zgorecki. Pendant cinq ans, j’ai côtoyé beaucoup de familles sur le terrain pour faire l’inventaire de drapeaux. J’ai découvert qu’il existait encore de nombreux objets rangés dans une malle ou un meuble.

Moule d'origine westphalienne pour fabriquer des gâteaux en forme d'agneau.
Moule d'origine westphalienne pour fabriquer des gâteaux en forme d'agneau. - M. S.-S.

Que va-t-on trouver dans votre livre ?

C’est une sorte d’album souvenir qui rassemble tous les domaines de la vie courante, de la cuisine aux habits folkloriques, en passant par la religion très présente. J’ai aussi découvert un peigne à moustache d’un grand-père qui avait servi dans l’armée prussienne. Une dame m’a également montré un chemisier blanc de sa grand-mère qui le mettait, bien repassé, chaque dimanche. Je n’oublie pas les instruments de musique indispensables pour les mariages : le bandonéon et le violon. Mais quasiment toujours, on retrouve le premier contrat de travail, le passeport, le livret de famille et la déclaration de nationalité polonaise pour les « Westphaliens ». Tout ça a traversé les générations.

Qui étaient ces « Westphaliens » ?

Il s’agissait des Polonais installés dans la Ruhr depuis longtemps. Après 1919, ceux qui venaient de Westphalie faisaient un choix patriotique. Les conditions de travail et les rémunérations en France étaient moins bonnes qu’en Allemagne, mais les émigrés pouvaient ainsi abandonner la nationalité allemande et devenir polonais. Ils sont venus avec leur mobilier par des trains spéciaux, sans espoir de retour en Allemagne. Ils ont replanté dans la région cette « polonité » associative développée en Westphalie.

* L’exposition « Pologne 1840-1918, Peindre l’âme d’une nation » se termine le 20 janvier 2020 à 18h. Elle est exceptionnellement gratuite pour tous du samedi au lundi. L’expo photo sur Kasimir Zgorecki se termine le 30 mars.