Propos recueillis par Gilles Durand
L'essentiel
- Depuis plus de deux ans, le député (LFI) du Nord, Ugo Bernalicis se penche sur les conditions d’incarcération pour préparer une proposition de loi-cadre d’ici à fin 2020.
- Face aux problèmes de récidive, le député souhaite modifier le Code pénal pour faciliter les condamnations à des peines alternatives.
- Un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese), récemment dévoilé, préconise de donner aux détenus les moyens de leur réinsertion.
Comment résoudre les problèmes des prisons ? Depuis le début de sa mandature, en juin 2017, le député (LFI) du Nord, Ugo Bernalicis se penche sur les conditions d’incarcération pour préparer une proposition de loi-cadre d’ici à fin 2020. Il a déjà visité quinze prisons. Son travail trouve un écho avec un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese), dévoilé mardi.
A la demande du Premier ministre, le Cese a étudié la question de la réinsertion. "Il faut reposer les termes du débat devant l'opinion publique et donner aux détenus les moyens de leur réinsertion", souligne le rapporteur Antoine Dulin. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, doit déclencher une feuille de route à ce sujet. 20 Minutes a rencontré Ugo Bernalicis pour avoir son avis sur la question.
Pourquoi vous être engagé dans cette mission ?
Le premier constat, c’est le discours du président Emmanuel Macron à l’école nationale pénitentiaire d’Agen qui disait que la prison ne remplissait pas sa mission et qu’il y avait trop de récidives. C’est, je crois, le premier président à avouer cet état de fait. Sauf, qu’en même temps, l’Etat fait construire 7.000 place supplémentaires et la justice n’a jamais autant incarcéré. Le budget de la justice en hausse est essentiellement dû aux constructions de prisons et aux recrutements de surveillants.
C’est pourtant nécessaire, aujourd’hui…
Pas forcément. On a déjà du mal à recruter des surveillants de prison et chaque année, l’Etat en prévoit encore davantage. Ce n’est pas une solution. Il n’y a jamais eu autant de détenus et de surveillants en France. Ce qu’il faut commencer par faire, c’est vider les prisons. La plupart des pays d’Europe en ferment. En comptant condamnés et prévenus, 250.000 personnes sont sous main de justice en France. Environ 71.000 sont incarcérés. Ça signifie que plus de 170.000 personnes purgent des peines alternatives en milieu ouvert.
Il faudrait augmenter le nombre de peines alternatives…
L’objectif est d’éviter la récidive. On s’aperçoit que 60 % des gens qui font de la prison recommencent, alors qu’on tombe à 30 ou 40 % pour les condamnés qui n’ont pas été incarcérés. Ça vaut le coup de se pencher sur la question. Je connais, notamment, l’exemple de la ferme de Moyembrie, en Picardie, qui accueille une vingtaine de détenus sortant d’une longue peine de prison. Ils réapprennent à vivre ensemble. Et ça coûte trois fois moins cher qu’une journée en prison. Ce sont ces dispositifs qu’il faut aider. Or, on s’aperçoit que ces budgets stagnent.
Mais aujourd’hui, que faire pour lutter contre la surpopulation carcérale qui est une réalité ?
Depuis des années, les différents gouvernements évoquent un manque d’environ 15.000 places en prison. Or, 20.000 personnes y sont en détention provisoire. On doit mener une grosse réflexion sur ces détentions provisoires. S’il n’a jamais provoqué d’accident, un récidiviste de conduite de voiture sans permis n’a rien à faire en prison. Tout comme un consommateur de stupéfiants récidivistes. Par ailleurs, nous sommes favorables à une légalisation du cannabis et la dépénalisation des drogues dures pour les consommateurs. Une prise en charge médicale serait plus efficace, à l’instar de ce qu’a fait le Portugal. Et ce pays a vu le nombre de toxicomanes baisser. Alors qu’en France, il ne cesse d’augmenter en dépit du renforcement des peines.
Quelles solutions proposerez-vous ?
Entre l’amende et la prison, il existe toute une gamme de peines qui sont oubliées. Nous proposerons de modifier le Code pénal pour que les juges puissent délivrer plus facilement ces peines probatoires, en dehors des délits majeurs et des crimes, bien sûr. Actuellement, la personne qui écope de peines de prison doit négocier ensuite un aménagement avec le juge d’application des peines. Pourquoi ne pas proposer cet aménagement au moment de la décision judiciaire ? On aura gagné intellectuellement lorsque l’opinion publique comprendra que la peine de prison n’est pas la seule peine qui existe pour réparer ses fautes.
Qu’avez-vous découvert lors de vos visites ?
Ce qu’on ne veut plus, ce sont des lieux comme Fleury-Mérogis avec 2.800 détenus. Tout est déshumanisé. Il faut mettre en place d’autres types de prisons plus petites, avec pas plus de 300 personnes, et insérés dans le bassin social pour préparer la sortie. Plus on améliore les conditions de vie des détenus, plus on améliore le travail des surveillants, plus on fait baisser la tension.
Vous avez récemment rencontré Patrick Balkany en prison. Pensez-vous que c’est sa place ?
En l’état actuel des choses, je dirais oui. Des petits voleurs en récidive se retrouvent en prison, il n’y a aucune raison que quelqu’un qui a fraudé des millions d’euros aux impôts y échappe. Mais, dans la politique d’incarcération que nous prônons, cette peine de prison n’a pas de sens. Qu’il soit condamné à travailler, par exemple, pour une structure d’aide pour les personnes surendettées, serait plus logique, histoire qu’il rembourse ce qu’il a volé à la société. Le principe est qu’il doit y avoir un lien entre la condamnation et le délit.
Trouvez-vous que la lutte contre la délinquance économique et financière est bien menée ?
Avec l’affaire Balkany, la magistrature redore son image à bon compte. Car Patrick Balkany est loin d’être le seul cas en France. Sans compter que les intermédiaires – ceux qui organisent l’évasion fiscale – sont rarement inquiétés. Environ 500 dossiers sont en cours d’instruction au Parquet national financier. Il n’en sort qu’une dizaine par an. Les délais d’instruction sont trop longs. Ça va nourrir le discours que certains s’en sortent bien, alors que d’autres se retrouvent en comparution immédiate, comme les « gilets jaunes » par exemple.