Lille: «A Lille, on n'est pas Harvard», pourquoi la hausse des frais d'inscription pour les étudiants étrangers inquiète et divise la fac nordiste
EDUCATION•Si le décret est signé par le premier ministre, les frais de scolarité pour les étudiants extra-communautaires vont être multipliés par 17François Launay
L'essentiel
- Dirigeants, personnels et étudiants sont tous opposés à cette mesure mais n’ont pas la même façon de voir les choses.
- Si le décret est signé, la hausse des frais pourrait avoir de grosses conséquences avec la possible fermeture de filières scientifiques.
Le décret n’a pas encore été signé mais rien que l’annonce a jeté un gros froid dans le milieu universitaire. Révélée le 19 novembre dernier par le premier ministre Edouard Philippe, la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers (hors Union Européenne) pour les nouveaux inscrits dès la rentrée prochaine suscite beaucoup d’inquiétudes.
Pour justifier cette mesure, le gouvernement évoque le financement des bourses et l’amélioration des conditions d’accueil des étudiants étrangers. Sauf que cette décision est très mal perçue dans les facs françaises.
Des frais d’inscription multipliés par 17 !
Il faut dire que la hausse n’est pas anodine. Les frais en licence (de 160 à 2.770 euros par an) et master (de 220 à 3.770 euros par an) vont être tout simplement multipliés… par 17. Treize présidents d'université (sur 75) ont déjà annoncé qu’ils s’opposeraient à cette mesure. A Lille, la position est un peu différente. Dans une motion votée le 22 novembre, le conseil d’administration a désapprouvé cette mesure tout en disant qu’elle ne s’y opposerait pas si le décret était signé.
« Les universités qui disent qu’elles ne vont pas appliquer la loi mentent aux étudiants. Si l’Etat va au bout, les étudiants arriveront chez vous en septembre mais en octobre, vous leur direz que vous êtes obligés d’appliquer la loi. Nous, on désapprouve cette mesure mais on ne veut pas mentir aux étudiants » explique François-Olivier Seys, vice-président chargé des relations internationales à l’université de Lille.
Les personnels de l’université de Lille demandent une position plus claire
Sauf que cet entre-deux manque de clarté selon les personnels de l’université. Il y a dix jours, une pétition lancée en interne par des enseignants a connu un vif succès. Plus de 600 enseignants, chercheurs et personnels administratifs l’ont signé pour réclamer une position claire du comité d’administration sur ce sujet
« On trouve que la motion votée par le CA reste au niveau du gué. On a donc demandé à l’équipe présidentielle de s’engager à utiliser toutes les possibilités pour permettre aux étudiants étrangers de continuer à bénéficier du tarif actuel », explique Fabien Desage, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université de Lille à l’origine de la pétition.
Le président de la fac de Lille souhaite un moratoire
Face à ce début de fronde assez rare, le président de l’Université a récemment répondu aux signataires de la pétition. Dans un mail, Jean-Christophe Camart rappelle sa désapprobation sur la mesure et annonce qu’il « souhaite qu’un moratoire (suspension provisoire) soit mis en place afin d’éviter une hausse brutale des droits d’inscription qui mettrait à mal les projets d’étude d’un certain nombre d’étudiants et qui risquerait de fragiliser certaines de nos formations ».
Car l’Université de Lille et ses 70.000 étudiants risquent bien d’être fortement impactés par cette mesure. Au maximum, 5.500 étudiants étrangers non-communautaires et non-résidents (dont la plupart viennent du Maroc, d’Algérie et de Chine) pourraient être touchés par la hausse brutale des frais d’inscription soit 9 % de la population estudiantine lilloise. De quoi clairement s’inquiéter pour la survie de certaines filières scientifiques où les étrangers sont nombreux.
« Il y a danger de fermeture, c’est certain. En master de génie civil ou en électronique par exemple, on a beaucoup d’étudiants étrangers. Je ne sais pas encore si on va fermer ces filières mais ce qui est sûr, c’est qu’on va perdre des étudiants », reconnaît le vice-président de l’Université de Lille.
« La hausse des frais va jouer sur notre attractivité »
Avec une hausse aussi importante, la fac nordiste risque bien d’être perdante sur les deux tableaux. « Il y en a qui ne vont pas pouvoir assumer financièrement cette hausse. Et ceux à qui on va demander 3.000 euros pour faire une licence, ils ne vont pas venir à l’Université de Lille. Ils vont aller dans une université privée plus prestigieuse qui va leur donner un titre plus valorisable par la suite. A Lille, on n’est pas Harvard. Ça va jouer sur notre attractivité. Aujourd’hui, le fait que les frais de scolarité soient peu élevés nous rend attractif », s’inquiète Fabien Desage.
Du côté des étudiants, les syndicats sont vent debout contre la mesure mais peinent à mobiliser sur une réforme qui n’entrera qu’en vigueur en septembre prochain. C’est pourquoi un bal populaire devrait être organisé bientôt dans les murs de la fac. « On veut apporter de la visibilité au mouvement. Les étudiants étrangers sont au courant mais le problème, c’est qu’ils sont souvent réprimés par les forces de l’ordre quand ils manifestent. Du coup, avec ce bal, on pourra faire une action de revendication sans risquer d’être réprimés », détaille Léo Petit du syndicat Sud solidaires étudiant-e-s
De leur côté, les responsables de la fac multiplient les réunions au ministère de l’Education pour tenter d’infléchir la position du gouvernement d’ici à la fin février. Outre la demande d’un moratoire, la mise en place de commissions d’exonération pour certains étudiants fait partie des pistes explorées. Mais pas sûr que cela suffise à calmer la fronde sur une mesure qui n’a pas fini de faire parler.