Pourquoi les Hauts-de-France s’inquiètent-ils autant pour le canal Seine-Nord?
TRANSPORTs•Le canal Seine-Nord-Europe figure parmi les projets d’infrastructure que le gouvernement entend mettre sur « pause »…Olivier Aballain
L'essentiel
- Le projet de canal Seine-Nord-Europe, dont la construction doit coûter 4,5 milliards d’euros, est très attendu par les élus nordistes
- Le ministère des Transports a pourtant annoncé qu’il souhaitait faire « une pause » le temps de redéfinir les priorités sur les grands chantiers…
Inquiets, voire dépités. Les élus des Hauts-de-France n’ont pas tardé à réagir à la prudence revendiquée par la ministre des Transports à propos du canal Seine-Nord-Europe.
Élisabeth Borne, interpellée au Sénat le 6 juillet par l’élu du Pas-de-Calais Jean-François Rapin (LR), a déclaré qu’une « pause » était nécessaire pour établir « des priorités » en matière de chantiers de transport. Des élus de tous bords politiques ont immédiatement embrayé, à commencer par l’ancien ministre (PS) Patrick Kanner.
Dans un message publié sur le réseau social Twitter, l’élu nordiste est allé jusqu’à évoquer une « agression » contre la région.
Le ton plutôt martial de la déclaration est révélateur du manque d’assurance des élus sur le dossier. Voici ce qu’ils redoutent.
L’influence du Havre. Pour certains, la nomination du maire du Havre au poste de Premier ministre avait déjà constitué un premier coup de semonce. Défendant son propre port, Édouard Philippe était jadis un opposant résolu au projet nordiste, qui menace d’ouvrir l’accès du bassin parisien à la concurrence des ports du nord de l’Europe.
Parvenu à la tête du gouvernement, l’élu normand a ensuite adopté une position rassurante sur la concrétisation d’un projet, dont François Hollande vantait début avril le caractère « irréversible ». « Quand on est à la tête de l’État […], on ne peut pas faire table rase du passé », a ainsi déclaré le Premier ministre dans un entretien publié par Paris-Normandie le 19 mai.
La déclaration d’Élisabeth Borne a fragilisé ce fragile édifice de confiance, certains élus n’hésitant plus, désormais, à remettre en cause la neutralité du premier ministre. C’est le cas notamment de Sébastien Leprête, ancien patron de la majorité LR au conseil régional, qui voit la « main » de l’ancien maire du Havre dans l’ajournement du projet.
Elisabeth Borne a donné rendez-vous à l’automne pour définir les priorités et sélectionner les projets qui disposeront d’un financement « durable ».
Un chantier (très) onéreux. C’est le principal souci du canal, depuis le début. Financer un projet lourd à 4,5 milliards d’euros en pleine période de disette budgétaire a de quoi faire réfléchir. Le soutien important de l’Union européenne (1,8 milliard d'euros espérés) a un peu détendu tout le monde.
Cependant, l’idée de reporter à plus tard le déblocage du milliard attendu de l’État s’avère tentante quand il s’agit de réduire la dépense publique. C’est d’ailleurs ce qu’a laissé entendre Elisabeth Borne devant le Sénat : « L’addition des engagements pris ne passe pas dans la trajectoire des dépenses publiques », a indiqué la ministre, évoquant le chiffre de 10 milliards d’euros d’économies à trouver sur cinq ans.
Il y a quand même des raisons d’espérer, pour les défenseurs du canal, car le chantier ne nécessite pas de débloquer tous les crédits dès le lancement des travaux. Selon une estimation effectuée par Voies navigables de France, déjà reprise par 20 Minutes cet automne, les crédits à débloquer d’ici 2019 ne dépasseront pas 200 millions d’euros. Si l’État espère faire de grosses économies rapidement en ajournant le projet, c’est donc raté.
Une gouvernance encore fragile. La désignation de Rémi Pauvros, pour diriger la « société de projet » du canal, a mis des mois à se concrétiser. Mais l’ancien député PS de Maubeuge, a été défait aux législatives, ce qui fait sauter son siège au conseil de surveillance de la société de projet. Même punition pour Jean-Jacques Cottel, ex-député PS du Pas-de-Calais.
Le site Médiacités Lille indique qu’une autre élue du conseil de surveillance (ils sont 24 membres au total), Valérie Létard (UDI), ne siège pas car elle brigue sa réélection aux sénatoriales de septembre. On apprend enfin que le directeur de la société, venu de VNF, a entre-temps été exfiltré vers… le ministère des Transports. Bref, « tout cela crée un vide et c’est embêtant », note Jacques Petit, le maire de Marquion (Pas-de-Calais), auprès de Médiacités.
Seule consolation pour les défenseurs du canal : si la société de projet en question a pu être créée, c’est grâce à une disposition ajoutée à la loi du 6 août 2015, dite « loi Macron », du nom du ministre de l’Économie de l’époque. Lequel ministre a, depuis, franchi quelques écluses…