VIDEO. Migrants: Ce camp atypique que l'État récupère à Grande-Synthe
REFUGIES•Bernard Cazeneuve vient annoncer, lundi 30 mai, que l'État va désormais gérer directement le camp de Grande-Synthe, créé par MSF...Olivier Aballain
D’abord l’État n’en voulait pas, de ce camp aux normes internationales, ouvert en mars à Grande-Synthe. Jugé trop grand, trop près de Calais, trop dangereux aussi, à cause du bois dont sont faits ses 220 cabanons.
Et puis, un mois après l’installation, assumée et pilotée en grande partie par Médecins Sans Frontières (2,6 millions d’euros) et la ville, le Gouvernement a accepté de financer une partie du fonctionnement (gardiennage, sanitaires, médiation…).
Et encore un peu plus d’un mois plus tard, ce lundi, les ministres Bernard Cazeneuve (Intérieur) et Emmanuelle Cosse (Logement) sont sur place pour annoncer la gestion en direct du camp par l’État.
« Partis des besoins des gens »
C’est un peu comme si l’État avait attendu pour voir. Parce que ce camp, le premier en France qui réponde aux normes du HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés, des Nations-Unies), est atypique : Le maire écolo de Grande-Synthe, MSF et l’association Utopia56 qui coordonnait tout jusqu’ici, ont voulu en faire un véritable espace de vie. Pas simplement un lieu de mise à l’abri. « On est partis des besoins des gens », résume Céline Bourse, d’Utopia56.
Le grand espace de rechargement (des dizaines de prises électriques sont disponibles) planté à l’entrée en est l’un des signes. « Au Basroch (l’ancien camp-bidonville du Basroch, à Grande-Synthe) l’électricité manquait complètement, ils ne pouvaient rien faire », témoigne Céline Bourse.
Mais l’espace-laverie, juste un peu plus loin, est encore plus emblématique. « Pouvoir laver ses vêtements et les sécher quand on a pris la pluie, c’est fondamental. Et puis il y a aussi les besoins des familles, avec leurs enfants ».
Postée à l’entrée, Claire, l’une des nombreuses bénévoles indispensables au camp, régule les demandes. Il y a un planning, et quelques règles de base : « On a régulièrement des papas qui arrivent avec un maillot de corps et une culotte d’enfant à laver, on leur explique qu’il faut revenir avec plus de linge ». Shaheen, venu d’Iran, vient tout juste de déposer un gros sac de linge sale : « Je ne m’attendais pas à trouver ça, une telle hospitalité, ici ».
A terme, Utopia56 veut, surtout, que ce soient les migrants qui gèrent eux-mêmes l’endroit. « La mise en place prend du temps, il a fallu trouver un mode de fonctionnement provisoire. Mais l’objectif, c’est que cela devienne aussi un lieu de vie, d’échanges ».
La cantine communautaire est un autre de ces endroits à double fonction : Répondre au besoin immédiat (se faire à manger des plats simples mais que l’on a choisis) tout en assumant un rôle social évident.
Salah, venu du nord de l’Irak, vient y préparer une appétissante soupe de lentilles, qu’il servira à toute la famille (ils sont sept). « Parfois des bénévoles s’assoient avec nous. Ça vous tente ? ».
Avant de construire des abris, le terrain a été drainé, nettoyé, stabilisé. Les bénévoles râlent un peu contre le sol roulant de gros cailloux (pratique pour drainer mais aussi pour se tordre les chevilles), mais au moins il n’y a pas de boue.
a« Bon évidemment, pour planter un potager ce n’est pas pratique, sourit Fulgence, coordinateur du « centre culturel » (en fait, l’école, le jardin d’enfants et une sorte de MJC réunis). Mais on s’en sort avec des bacs ». La première récolte de choux a déjà eu lieu.
Une autre association, conventionnée, va reprendre le camp
Fulgence, cela fait des mois qu’il « s’en sort » plutôt pas mal ici, avec le renfort d’enseignants britanniques venus faire un (gros) break pour aider les réfugiés. Sur les 105 enfants recensés dans le camp, 96 fréquentent le centre culturel, « certains deux ou trois heures par jour, certains une fois dans la semaine… ».
Que va-t-il se passer quand l’État reprendra la main ? « La préfecture veut que les enfants sortent du camp pour aller dans les écoles des villes alentours, explique Fulgence. Ok, mais il faut aussi que ceux qui le souhaitent puissent rester ici. Les enfants arrivent traumatisés, ils ne voudront pas sortir tout de suite. J’ai vu des garçons pleurer dès que leur père les posait par terre »
Dans les allées du camp, des gros blousons rouges se font de plus en plus nombreux : Ce sont des salariés de l’AFEJI, une association conventionnée par l’État. C’est cette asso qui est désignée pour reprendre la coordination assurée jusqu’ici par Utopia56. Jusque-là elle s’occupait des sanitaires, et de la médiation sociale.
Le bénévolat et la gestion d'État, deux logiques différentes
Entre l'AFEJI et Utopia56, le passage de relais est forcément délicat: D’un côté il y a des acteurs associatifs et bénévoles qui ont créé le camp contre la volonté du préfet, et de l’autre des « prestataires » de l’État, soupçonnés d’être « moins indépendants » par certains pionniers du camp.
Céline Bourse reste prudente : « On se doutait bien que l’État finirait par prendre en charge le camp, mais on ne sait pas encore comment ils vont le faire ». Chez certains bénévoles, une inquiétude se fait jour : « Si l’on avait écouté l’État, rien ne se serait fait ici. Est-ce que le projet restera le même avec son prestataire ? ». Déjà, on parle de réduire la taille du camp à 300 réfugiés (il en reste 800 aujourd’hui, après un pic à 1.400).
« Evidemment, si on se pointe comme des cow-boys, ça ne marchera pas du tout », témoigne un salarié de l’AFEJI. « Il faut respecter ce qui a été mis en place et savoir adapter nos méthodes. Les gens ici ont parfois fait la guerre, manqué de se noyer, traversé l’Europe : Si on va au clash, on n’aura pas le dessus ».