Calais: Pourquoi la dentelle nordiste intéresse les Chinois
ÉCONOMIE•Le groupe Yongsheng a emporté la reprise du dentellier calaisien Desseilles, en promettant de sauver 60 emplois...Olivier Aballain
Le pavillon chinois flotte donc un peu sur la dentelle de Calais. Le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a choisi le groupe Yongsheng pour la reprise de Desseilles Laces (74 emplois), mise en liquidation judiciaire le 3 mars. Trois offres étaient en concurrence, dont la principale émanait du Nordiste Holesco, installé à Caudry (Nord).
La direction de Holesco, qui chapeaute la marque Sophie Halette, a regretté, dans un communiqué, le passage à l’étranger d’une « part d’héritage de la dentelle française ». Seulement voilà : là où Holesco promettait la reprise de 55 emplois et deux millions d’euros d’investissements, Yongsheng a monté un dossier prévoyant 60 emplois et quatre millions d’euros à investir.
« C’est une excellente nouvelle pour Calais et la dentelle de voir un groupe Chinois injecter autant d’argent », estime Michel Machart, consultant dans le secteur et ancien directeur commercial de la dentelle Noyon, autre acteur du Calaisis. « Est-ce qu’on s’inquiète de voir des groupes étrangers acheter des grands crus du Bordelais ? ».
Mais alors, si ce n’est pas le vin, qu’est-ce qui intéresse tant ces investisseurs venus du lointain Orient ?
- Une technique unique au monde
Desseilles possède plusieurs dizaines de métiers à tisser Leavers, des pièces du 19e siècle qui ne sont plus fabriquées, et permettent pourtant de réaliser une dentelle plus fine, plus belle et moins cassante que la dentelle ordinaire.
Ces machines sont tellement précieuses qu’elles ont même failli être classées « patrimoine historique » en 2006 pour éviter leur exportation… en Chine. Or, la procédure n’a pas abouti, et la Direction des affaires culturelles confirme à 20 Minutes qu’elles ne sont pas protégées.
De là à penser que ce sont les machines qui intéressent les Chinois, il n’y a qu’un pas, que l’Union des industries textiles (UIT) se refuse à franchir… pour l’instant : « Il ne faut pas leur faire de procès d’intention, mais il faudra être vigilant », prévient le président de l’UIT Nord.
Cependant là aussi, Michel Machart se veut rassurant. « Ces machines sont délicates à faire fonctionner et à entretenir. Les Chinois n’ont aucun intérêt à délocaliser en Chine, ce serait techniquement beaucoup trop compliqué ».
- Un savoir-faire précieux
Mécaniciens spécialisés sur les Leavers, opérateurs, créateurs de dessins : il y a, à Calais, entre 300 et 400 personnes dont le savoir-faire dentellier est irremplaçable. Le groupe Yongsheng entend même développer ce savoir-faire en mettant sur pied un centre de formation, ce qui permettra de perpétuer la technique spécifique mise en œuvre à Calais et Caudry.
- Des labels Calais et Made in France qui font recette
Le grand public ne s’en rend pas forcément compte, mais le label « Dentelle de Calais » est mondialement connu des créateurs de mode. Le dernier exemple en date, c’est la dentelle utilisée pour la robe de mariée de Kate Middleton, à l’occasion de ses épousailles avec le prince William d’Angleterre, en 2011.
En outre, la marque Made in France reste un atout de taille en Chine, dont le marché textile devrait absorber sans problème les quantités produites par Yongsheng à Calais. Le groupe chinois aurait d’ailleurs prévu de développer la production, en acquérant six métiers Leavers supplémentaires.
De son côté, le président de la fédération française des dentelles et broderies, cité par Holesco, demande à rencontrer « au plus vite les investisseurs chinois » pour leur exposer « leurs droits et leurs devoirs quant à l’utilisation de la marque “dentelle de Calais-Caudry” ». Ils sont prévenus.