Procès du Carlton: Radiographie d'une fracture judiciaire
JUSTICE•La divergence de vues entre le procureur et les juges d'instruction est mal comprise dans l'opinion...Olivier Aballain
Depuis le début, le cas DSK est le talon d'Achille de l'affaire Carlton. La relaxe requise par le Parquet à l'encontre de l'ex patron du FMI contredit frontalement le maintien des poursuites décidée par les juges d'instruction de Lille, et confirmée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel. Décryptage.
La justice a-t-elle mal fonctionné?
«Il faudra bien expliquer aux citoyens comment l'institution judiciaire peut avoir deux lectures aussi différentes d'un même dossier», commentait Me Emmanuel Daoud, avocat de la partie civile, après les réquisitions du Procureur.
Pour comprendre, il faut savoir que «l'institution judiciaire» en France n'est pas unique. Elle comporte d'une part, les magistrats dits «du parquet», (les procureurs), et d'autre part les magistrats dits «du siège» (les juges). Les premiers (qui représentent le ministère de la Justice) prononcent des recommandations à l'intention des seconds, qui prononcent leur jugement en toute indépendance.
Et c'est exactement ce qui s'est passé pour DSK. Les juges d'instruction ont eu une analyse du dossier, confirmée par leur hiérarchie (la chambre de l'instruction), différente de celle du Parquet. L'institution judiciaire a fonctionné normalement.
Et le retrait des parties civiles? Qu'on soit d'accord ou pas, il ne change rien en droit: en France, le tribunal juge au nom du peuple français, pas au nom des victimes.
Sur quoi porte le désaccord?
Dans leur ordonnance de renvoi, les juges instructeurs Stéphanie Ausbart et Mathieu Vignau estiment que l'enquête a permis de mettre au jour «une véritable entreprise à l'échelon international de traite des êtres humains». C'est dans cette perspective qu'ils ont poursuivi Dominique Strauss-Kahn, en le présentant comme l'un des bénéficiaires du réseau, sinon le principal.
Mais le Parquet de Lille s'est placé dans une autre optique. Dès le début de ses réquisitions, Frédéric Fèvre a rappelé qu'il ne pensait pas avoir affaire à un «réseau mafieux», mais plutôt à un «groupe d'amis qui partagent des ébats sexuels pour satisfaire leurs égos, leurs ambitions».
Persuadé que le «réseau» n'existait pas, le parquet a fait dans la dentelle, prévenu par prévenu. Est-on certain que Dominique Strauss-Kahn savait que les femmes qu'il rencontrait étaient des prostituées? «Non». A-t-il payé ces prostituées? «Non». A-t-il assisté leur prostitution? Etc., etc. Devant l'«insuffisance des charges» pesant sur DSK, il requiert la relaxe.
Qui a raison?
C'est évidemment la cour qui va trancher à l'issue du procès. La cour, ce sont trois magistrats «du siège», ceux qui jugent en toute indépendance, après avoir écouté la recommandation du Parquet et les plaidoiries de la défense.
Et il n'est pas encore certain qu'ils préfèrent suivre le procureur, plutôt que leurs pairs de la chambre de l'instruction. Quitte à élargir le fossé entre le «parquet» et le «siège».