Lille: «C'est l'ignorance qui conduit à la radicalisation»
PENITENTIAIRE•«20 Minutes» a rencontré Hassan El Alaoui Talibi, aumônier national musulman des prisons et Samia Ben Achouba, responsable de l'aumômerie régional...Gilles Durand
Les attentats du débat d'année ont relancé la question de la radicalisation de certains détenus au sein des prisons. En septembre 2013, après la disparition de deux jeunes Roubaisiens, partis en Syrie, le parquet de Lille avait déjà été saisi d'une demande d'enquête sur d'éventuels recruteurs au sein des maisons d'arrêt et des mosquées de la région. 20 Minutes a rencontré, ce mercredi, les responsables de l'aumônerie musulmane des prisons, installés à Villeneuve d'Ascq, près de Lille.
Avez-vous affaire régulièrement à des phénomènes de radicalisation?
Il faut s'entendre sur le terme radicalisation. Il s'agit de quelqu'un qui veut imposer ses idées ou son idéologie par la violence. Quelle que soit sa religion. C'est l'ignorance qui conduit à la radicalisation. Souvent, cela commence par des petites frustrations: un tapis de prière refusé, un problème de cantine... Tout prend une importance démesurée en détention. Je suis intervenu, un jour auprès d'un détenu qui, du jour au lendemain, faisait des appels à la prière. Tout simplement parce qu'on lui avait refusé un manteau pour sortir en promenade.
Il y a des cas plus inquiétants que ceux-là...
Oui, mais on a tendance à mélanger beaucoup de choses. Prenons le phénomène de violence à l'intérieur des prisons. Il dépasse le cadre de la religion. Il s'agit avant tout d'effets de bandes, Roubaix contre Lille, par exemple. Les personnes dangereuses sont mises à l'isolement et n'ont pas de contacts avec les autres, en général. Nous les rencontrons aussi. En parlant beaucoup, avec le temps, on arrive, la plupart du temps, à les faire changer d'avis.
Comment lutter contre les imams autoproclamés?
Par l'éducation. Le rôle de l'aumônier est d'expliquer pourquoi il faut s'instruire pour éviter de tomber entre les mains de ces gens qui détournent le message du Coran. Il faut répéter que la foi et la haine ne peuvent pas cohabiter dans l'esprit humain.
Comment expliquer l'augmentation de cette radicalisation?
Le facteur psychiatrique, d'abord. Beaucoup de détenus ont des problèmes de cet ordre. Le radicalisme peut se greffer là-dessus. Le manque de liens familiaux joue aussi un rôle. Merah, Nemouche, les frères Kouachi ont été placés dans leur enfance. Il y a un échec de l'accompagnement social, tout petit. Tout ça s'est aggravé quand les grands frères, diplômés, ont commencé à ne pas trouver de travail. Est né un sentiment d'injustice. L'apport spirituel est nécessaire pour apporter une paix interne, mais il ne suffit pas. C'est un ensemble de mesures sociales qui va pouvoir changer les choses.