Maltraitance : « Elle avait la peau sur les os »… Le martyre d’Amandine, morte de faim à 13 ans, devant la justice
PROCES•La mère et le beau-père d’Amandine, 13 ans, comparaissent devant la cour d’assises de l’Hérault à partir de ce lundi. A sa mort, l’adolescente pesait 28 kilos pour 1,55 mètre.Caroline Politi
L'essentiel
- A sa mort, Amandine, une adolescente de 13 ans, pesait 28 kilos pour 1,55 mètre. Les investigations ont démontré qu’elle est morte des suites d’une privation de nourriture.
- Sa mère est jugée à partir de ce lundi devant la cour d’assises de l’Hérault pour « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort ». Son beau-père pour « privation de nourriture et de soin ».
- Des signalements de maltraitance avaient été faits, mais l’enquête s’était conclue par un non-lieu.
Il suffit d’un chiffre pour mesurer l’ampleur du calvaire. A 13 ans, Amandine pèse 28 kilos pour 1,55 mètre. Pesait, plutôt. Ce 6 août 2020, lorsque les secours sont appelés pour un malaise, il est déjà trop tard. Malgré plusieurs tentatives, ils ne parviennent pas à réanimer la jeune adolescente qui gît sur le sol de la maison familiale de Montblanc, dans l’arrière-pays héraultais. Sa mère jure qu’elle s’est sentie mal en mangeant de la compote, mais les pompiers peinent à y croire. Son visage porte des traces de coups, ses dents sont cassées, son teint est blafard. Et que dire de son corps décharné ? « Quand je l’ai vu à la morgue, j’ai eu du mal à la reconnaître, confie son père, Frédéric Florès. La première image qui m’est venue, c’est celle des camps de concentration. Son corps ressemblait aux victimes, avec la peau sur les os. » L’autopsie est formelle, elle est décédée des suites de « son état cachectique », associé à une septicémie.
A partir de ce lundi et pour toute la semaine, le martyre de l’adolescente occupera la cour d’assises de l’Hérault. Sa mère, Sandrine Pissara, jugée pour « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort », est soupçonnée d’avoir infligé pendant des années des violences à Amandine, jusqu’à la laisser mourir de faim. Le beau-père de l’adolescente, Jean-Michel Cros, comparaîtra quant à lui pour privation d’aliments et de soins. Si ce dernier a reconnu, au fil des investigations, une certaine passivité, sa mère n’a eu de cesse de nier les accusations portées à son encontre. Convoquée par les gendarmes dès le lendemain, elle assure que sa fille était anorexique. Les enquêteurs s’étonnent : pourquoi n’a-t-elle pas conduit sa fille à l’hôpital ? Elle jure n’avoir pas mesuré la gravité de la situation parce qu’Amandine portait « des vêtements amples ». Sa froideur interpelle : elle décrit sa fille comme voleuse, menteuse, « compliquée » depuis son plus jeune âge.
« Elle mangeait pour dix »
Les témoignages recueillis au fil de l’enquête ont rapidement fait voler en éclat la thèse d’un trouble alimentaire. « Amandine était petite et fine mais à l’internat, elle mangeait pour dix. On ne savait pas où elle mettait tout ce qu’elle mangeait », raconte ainsi une camarade. « Elle surmangeait pour compenser », analyse sa sœur aînée, qui assure qu’Amandine était régulièrement privée de repas, parfois plusieurs fois de suite. A quand remontent ces privations ? En primaire, elle avait la réputation de voler le goûter des autres. Une maîtresse l’avait même surprise en train de fouiller dans la poubelle pour manger les restes d’un biscuit laissé par un enfant. En 2012 - elle est alors en CE1-, l’équipe pédagogique fait un signalement, puis un second en 2013, après la découverte de traces suspectes sur son corps. Mais l’enquête est classée sans suite en 2014.
Si dans un premier temps, la famille a fait bloc autour de la version de Sandrine Pissara, peu à peu, les langues se délient. Les deux aînés, nés d’une précédente union, racontent le climat de terreur que fait régner leur mère, multipliant violences et humiliations. Selon eux, le calvaire d’Amandine surpassait tous les autres. « On n’avait pas le droit de lui parler ou d’avoir toute marque d’affection », insiste sa sœur aînée auprès du juge d’instruction. Et de décrire les lignes à n’en plus finir, le cagibi sans fenêtre qui lui servait de chambre. Ou cette fois où leur mère a déposé Amandine en pleine campagne et l’a fait courir derrière la voiture, lui faisant croire qu’elle allait l’abandonner. « Je suis surpris du portrait qu’on dresse de ma cliente, assure Me Jean-Marc Darrigade, l’avocat de Sandrine Pissara. Amandine était une enfant qui faisait l’objet d’un suivi médical et psychologique fréquent, mais personne n’aurait rien vu pendant des années ? J’ai l’impression qu’on remet tout sur son dos. »
Le confinement au cœur du drame
« Je savais que sa mère pouvait être dure et infliger des punitions aux enfants, mais je ne soupçonnais pas un tel degré de violence », confie le père de la victime. Cela faisait trois ans que cet ancien policier n’avait pas vu Amandine, ni les deux autres enfants qu’il a eus avec Sandrine Pissara : le couple était en conflit sur la garde, sur fond d’accusations de violences conjugales. Ils sont séparés depuis 2009 mais la situation s’est dégradée en 2015 lorsqu’il déménage. « Jusqu’alors, on habitait dans le même village, je voyais les enfants tous les jours, ils mangeaient souvent à la maison », assure Frédéric Florès. A partir de 2017, les contacts sont erratiques. « La dernière fois que j’ai eu Amandine au téléphone, c’était en avril. Elle voulait qu’on se voit plus mais elle ne m’a jamais parlé de ce qu’elle endurait. Je culpabilise de n’avoir rien fait… », insiste-t-il.
A quoi ont ressemblé les derniers mois d’Amandine ? Personne, en dehors de membres de sa famille, ne l’a vue à partir de la mi-mars 2020, lorsque a débuté le confinement. Les voisins ont découvert lors de la médiatisation du drame que Sandrine Pissara, installée dans le village depuis quatre ans, avait trois enfants : ils jurent n’avoir jamais aperçu Amandine. La collégienne était en internat depuis trois ans, mais rentrait chaque week-end et pendant les vacances. « Amandine pleurait la veille des week-ends parce qu’elle ne voulait pas rentrer chez elle », rapporte une camarade. Lorsque le Covid-19 a frappé, l’internat a fermé, la contraignant à rentrer. Les derniers textos échangés avec ses amies remontent au mois d’avril : Amandine leur raconte avoir beaucoup maigri et être « punie de manger ». Elle n’a jamais assisté au cours en visio et n’est jamais revenue en cours.
Une caméra dans le cagibi qui lui servait de chambre
Sa sœur aînée, qui n’habitait pas sur place, dit l’avoir vue pour la dernière fois en juin 2020. Selon son récit, lorsqu’elle s’est rendue au domicile de sa mère les fois suivantes, Amandine était toujours « punie », enfermée dans ce débarras. Comble de l’horreur, les enquêteurs ont découvert qu’une caméra de vidéosurveillance y avait été installée. Sur une photo datant de juillet 2020, découverte sur le téléphone de Sandrine Pissara, on y aperçoit l’adolescente, nue, prostrée. Sur d’autres images extraites, on la voit très affaiblie à son bureau faire « ses lignes ». « Ce qui est terrible, c’est qu’on mesure, à son écriture, l’extrême fatigue », confie Me Florian Medico, le conseil de son père. A sa mort, son corps était recouvert d’escarres, ces plaies liées au frottement : les experts estiment qu’elle est vraisemblablement restée allongée longtemps à cause de son extrême fatigue.
Notre dossier sur la maltraitanceDe ce procès, Florian Florès ne sait pas vraiment quoi attendre. Peut-être des aveux, même s’il en doute. « C’est quelqu’un de très fier avec un fort égo, donc je ne m’attends pas à grand-chose », confie-t-il. Les psychologues qui ont expertisé Sandrine Pissara ont constaté « une absence d’empathie et de compassion » et un « un égocentrisme exacerbé entraînant un comportement tyrannique ». Au terme de son enquête, le juge d’instruction a conclu à « une volonté d’entraîner une agonie honteuse et humiliante portant atteinte gravement à sa dignité ». Sandrine Pissara encourt la réclusion criminelle à perpétuité.