De quel droitAu procès des viols de Mazan, jusqu’où peuvent aller les avocats de la défense ?

Procès des viols à Mazan : Jusqu’où peuvent aller les avocats pour défendre leurs clients ?

De quel droitDepuis le début du procès de 51 hommes accusés de viol sur Gisèle Pelicot, certains propos tenus par des avocats de la défense ont suscité la polémique
L'un des 51 accusés du procès des viols de Mazan discute avec son avocate, le 2 septembre 2024. (Illustration)
L'un des 51 accusés du procès des viols de Mazan discute avec son avocate, le 2 septembre 2024. (Illustration) - Christophe SIMON
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Cinquante-et-un accusés sont jugés depuis le 2 septembre 2024 devant la cour criminelle de Vaucluse pour le viol de Gisèle Pélicot.
  • L’ex-mari de la victime avait recruté ces 50 hommes sur Internet pour venir violer son épouse, après l’avoir droguée, sur une période de dix ans au domicile du couple.
  • Certaines déclarations des avocats des accusés ont suscité la polémique sur les réseaux sociaux où le procès est très suivi. Deux avocates expliquent à 20 Minutes jusqu’où ils peuvent aller pour défendre leurs clients.

D’un côté, une victime devenue, au fil du procès, le symbole des violences faites aux femmes. De l’autre, 51 hommes jugés depuis le 2 septembre dernier, devant la cour criminelle de Vaucluse, pour l’avoir violée. Parmi eux, Dominique Pelicot, son mari. Dans le box, il est le seul à reconnaître les faits. Oui, durant une dizaine d’années, il a drogué son épouse et recruté sur Internet ses coaccusés pour qu’ils viennent abuser d’elle pendant qu’il les filmait.

Ce dont beaucoup se défendent lorsqu’ils défilent à la barre. Certains affirment avoir pensé que Gisèle Pelicot dormait, était consentante, et que tout cela relevait d’un « jeu » sexuel imaginé par le couple. Une stratégie de défense mise à mal par la diffusion des vidéos des viols subis par cette femme de 71 ans.

Certaines déclarations des avocats des accusés ont suscité la polémique sur les réseaux sociaux où le procès est très suivi grâce aux live tweets des nombreux journalistes accrédités. Me Guillaume de Palma a provoqué la stupeur dans la salle d’audience en déclarant qu'« il y a viol et viol ». Même indignation lorsqu’un de ses confères demandes à la partie civile si elle n’a « pas des penchants exhibitionnistes ». Ou lorsque Me Isabelle Crépin-Dehaene a expliqué que certains accusés ont pu légitimement penser, en voyant certaines photos, que Gisèle Pelicot « était consentante et joueuse pour aller partager un moment à trois ». Me Nadia El Bouroumi, elle, a été critiquée pour avoir publié sur les réseaux sociaux une série de vidéos dans lesquelles l’avocate s’attaquait à la victime sur un ton badin.

« Si je choisis de le faire, je le fais à fond »

Coprésidente de l’Association des avocats pénalistes, Karine Bourdié regrette « la façon dont le travail des avocats en défense dans cette audience est vilipendé » sur les réseaux sociaux « par des gens qui n’ont pas mis un pied à l’intérieur de la salle d’audience et qui n’ont pas assisté à une seconde des débats ». « C’est comme si l’idée qu’un accusé soit défendu devenait insoutenable », explique à 20 Minutes cette avocate pénaliste qui porte la robe depuis une vingtaine d’années. Défendre une personne accusée d’avoir commis un viol, ce n’est pas défendre le viol, résume-t-elle. Dans certains dossiers, les faits sont difficilement contestables. Elle va alors « essayer de faire entendre raison » à son client car, « le but, ce n’est pas d’emmener quelqu’un dans le mur, de le laisser raconter n’importe quoi et de le voir s’écraser en direct ».

Mais pour d’autres affaires, « il y a des moyens de contester les poursuites ». Peu importe, dans ces cas-là, qu’elle croit à l’innocence de ses clients ou non. « Je ne suis pas enquêteur, je ne connaîtrai jamais la vérité absolue. » Son but est de les aider à mettre en place « une défense cohérente par rapport à leur personnalité et aux faits reprochés », et à « accompagner leur déclaration d’innocence ». « Si je choisis de le faire, je le fais à fond. Et si j’ai matière à démontrer que des témoins mentent, que des parties civiles mentent, que des faux ont été produits, je vais le faire. Ce qui m’intéresse, c’est que le sort judiciaire de la personne que je défends soit le plus juste possible, que le fonctionnement judiciaire soit digne de ce nom. »

Une immunité de robe encadrée par la loi

Pour ce faire, Me Bourdié dit respecter les limites fixées par la loi. « On n’insulte pas les gens, on ne les menace pas. » Mais, « il ne faut pas confondre combativité et manque de respect », insiste la pénaliste. Avant d’ajouter : « Dans notre système, on doit pouvoir remettre en cause la parole ou les accusations de chacune des parties. A partir du moment où la vérité judiciaire jaillira de ce débat contradictoire et de l’examen minutieux des éléments de preuve, il faut pouvoir tout discuter. »

« On peut dire ce qu’on veut pour défendre nos clients mais il y a des limites en matière pénale et en matière disciplinaire », observe Me Mandine Blondin, avocate pénaliste au barreau de Versailles. La loi du 29 juillet 1881 prévoit en effet que « ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux » ne peuvent donner lieu à des poursuites pour « diffamation, injure ou outrage ». Plus tard, en 1933, le conseil constitutionnel a rappelé que « les abus justifiés de la liberté d’expression de l’avocat doivent avoir pour objet le fond même du procès sans excéder les limites des droits de la défense ». Mais comme l’a ensuite précisé la chambre criminelle de la cour de cassation dans une décision du 27 février 2001, cette immunité de robe ne s’applique pas aux propos tenus en dehors de la salle d’audience. Ceux prononcés devant la presse ou sur les réseaux sociaux peuvent faire l’objet de poursuite par l’Ordre des Avocats.

« Être hyperagressive, ça ne sert à rien »

« Je ne fais pas de morale, je fais du droit. Et si j’ai quelqu’un qui me dit qu’il a commis des faits graves et que, dans le dossier, il y a moyen de plaider une innocence, je n’ai pas de difficultés à le plaider », souligne Me Blondin. « Si le dossier se prête à plaider une relaxe ou un acquittement ou un non-lieu, je vais porter sa voix à lui », assume-t-elle, reconnaissant que « d’un point de vue de l’opinion publique, du citoyen lambda qui ne se pose pas trop de questions, les avocats des victimes ou des parties civiles ont une meilleure image » que ceux de la défense.

Plus d'infos sur l'affaire Pelicot

Dans les affaires avec des parties civiles, comme les affaires d’agressions sexuelles par exemple, la pénaliste versaillaise explique avoir « parfois moins de délicatesse à leur égard » si elle « croit » que son client n’a pas commis les faits reprochés. « Mais si les faits sont reconnus, c’est plus difficile car la victime inspire nécessairement de la compassion à l’égard des juges ou des jurés. Donc si on lui rentre dedans, on va inspirer un truc désagréable qui va porter préjudice à notre client. Il faut réussir à faire passer des messages de défense tout en ménageant la victime. Être hyperagressive envers elle, ça ne sert à rien. Il faut aussi lui montrer de la bienveillance. »