PROCESAu procès des viols de Mazan, l’effroi après le visionnage d’une dizaine de vidéos

Procès des viols de Mazan : « Pour Gisèle, il est trop tard… » Les accusés mis face aux vidéos de leurs actes

PROCESCe vendredi, une dizaine de vidéos des viols subis par Gisèle Pelicot a été projetée au sein de la cour criminelle du Vaucluse. Une plongée crue dans les sévices qu’elle a subis
Procès des viols de Mazan : Les accusés mis face aux vidéos de leurs actes
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Pendant dix ans, Dominique Pelicot a drogué sa femme pour la faire violer par des dizaines d’hommes. Cinquante hommes – l’un d’eux est en fuite – comparaissent à ses côtés pour des viols aggravés.
  • Ce vendredi matin, le président de la cour criminelle a décidé que les vidéos des viols seraient diffusées « dans les cas strictement nécessaires à la manifestation de la vérité ».
  • Une dizaine de films des viols subis par Gisèle Pelicot a été diffusée dans la salle d’audience.

A la cour criminelle du Vaucluse,

La nausée. C’est le sentiment qui s’est emparé, vendredi après-midi, de la cour criminelle du Vaucluse. Pendant près d’une heure, une dizaine de vidéos des viols subis par Gisèle Pelicot a été projetée sur les trois écrans de la salle d’audience. Des films de quelques secondes pour la plupart, de sept minutes pour le plus long, qui paraissent durer une éternité. On y voit cette femme profondément endormie, ronflant sur la plupart des films, subir de multiples viols. Son corps est inerte, aucun mouvement ne transparaît malgré les multiples pénétrations qui lui sont imposées. Dominique Pelicot détourne le regard, certains accusés fixent leurs pieds, s’enfoncent sur leur chaise. D’autres, au contraire, regardent avec attention.

Ces images ont fait l’objet d’un vif débat dans la matinée. Sont-elles nécessaires à la manifestation de la vérité ? Ces vidéos doivent-elles être diffusées à huis clos ? « Dans la plupart des dossiers de viols, on est réduit à un parole contre parole mais nous n’avons pas la parole de Gisèle Pelicot », rappelle Me Stéphane Babonneau. Sa cliente, droguée par son mari à son insu, n’a plus le moindre souvenir des sévices qu’il lui a fait endurer pendant dix ans. Mais Dominique Pelicot a méticuleusement filmé ou photographié tous les hommes qu’il a fait venir : près de 4.000 fichiers ont été retrouvés par les enquêteurs. « Pour Gisèle, il est trop tard, le mal est fait […] mais si ces débats, par leur publicité permettent d’éviter que d’autres femmes aient à en passer par là, alors elle trouvera un sens à sa souffrance », insiste le conseil.

Une victime léthargique, des accusés précautionneux

La défense s’insurge. Me Paul-Roger Gontard dénonce un « tribunal de la foule », estime que ces films n’apportent rien par rapport aux PV dressés par les enquêteurs. « Je veux bien d’un débat public mais pas d’un déballage hystérisé par des images », s’emporte Me Olivier Lantelme. En vain. Après 90 minutes de délibération, le président annonce que les vidéos seront diffusées sans huis clos mais seulement dans les cas « strictement nécessaires à la manifestation de la vérité ». Ainsi, pour Jérôme V., qui reconnaît s’être rendu à six reprises chez les Pelicot en toute connaissance de cause, « seules » trois photos « pour le contexte » ont été montrées. Pour ceux qui nient les faits, en revanche, il s’agit de confronter leur version aux images. Crues, insoutenables, parfois.

Plan large « en pleine action », gros plans sur les parties intimes… Dominique Pelicot a filmé les sévices infligés à son épouse sous toutes les coutures. On le voit parfois participer. Ecarter les fesses, tenir la mâchoire pendant qu’un accusé se « fait faire » une fellation. Ce qui saute aux yeux, au-delà de l’état léthargique de la victime, c’est que tous agissent sur la pointe des pieds, s’abstiennent de tout mouvement brusque, comme pour éviter de la réveiller. Pour autant, en dépit des images, ils continuent de nier les viols.

« Je pense toujours que Madame Pelicot va se réveiller »

Redouan E.F. fait partie des accusés à avoir regardé attentivement les images. Il soutient mordicus qu’il pouvait penser qu’elle faisait semblant de dormir. Cet ancien infirmier anesthésiste en donne pour preuve le fait qu’elle se gratte le nez alors qu’il lui introduit sa verge dans la bouche : un « mouvement volontaire », selon lui. A la barre, jeudi, il expliquait qu’il était terrorisé par Dominique Pelicot. A l’écran, vendredi, il donne l’impression d’un homme serein. Thierry Pa. non plus n’a pas détourné les yeux. Il maintient avoir été drogué par Dominique Pelicot bien qu’il apparaisse sur les deux films projetés particulièrement actif. Thierry Po., continue d’affirmer n’avoir rien trouvé d’anormal. « Je pense toujours que Madame Pelicot va se réveiller », jure-t-il.

Assise derrière ses avocats, la victime les écoute sans laisser transparaître la moindre émotion. Lorsque les films sont projetés, elle baisse les yeux mais reste dans la salle. Lors de sa plaidoirie, l’un de ses avocats a rappelé cette phrase prononcée en 1977 par Gisèle Halimi. « Une femme violée, c’est une femme cassée, une femme éclatée, une femme qui ne s’en remettra jamais… Quand elle se bat, elle a véritablement un courage parce qu’elle sait que ce n’est pas pour elle mais pour que les autres femmes ne passent pas par les épreuves qu’elle a subies. » A la voir chaudement applaudie à la sortie de l’audience, on mesure la portée de ce combat.