POLEMIQUEPourquoi des politiques veulent rétablir la double peine… qui n’a pas disparu

Meurtre de Philippine : C’est quoi ce débat autour du rétablissement de la « double peine »… qui n’a jamais disparu

POLEMIQUEDimanche sur le plateau de LCI, le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est dit favorable à la « double peine ». L’obligation de quitter le territoire n’a pourtant jamais été supprimée
Bruno Retailleau s'est dit favorable à la double peine, un dispositif toujours en vigueur.
Bruno Retailleau s'est dit favorable à la double peine, un dispositif toujours en vigueur. - Alfonso Jimenez//SIPA
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Dimanche sur le plateau de LCI, le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est dit favorable à l’expulsion des étrangers condamnés lorsque ces derniers ont terminé de purger leur peine.
  • Non seulement cette peine complémentaire existe toujours, mais elle a bondi de 40 % depuis 2019.
  • Lorsque des hommes et femmes politiques réclament le retour de la double peine, ils veulent en réalité son élargissement.

C’est un serpent de mer qui ressurgit à chaque fait divers tragique : la double peine. Dimanche sur le plateau de LCI, le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est dit favorable à l’expulsion des étrangers condamnés lorsque ces derniers ont terminé de purger leur peine. « Lorsqu’on accueille un étranger, et que cet étranger est condamné, il n’a plus rien à faire sur le territoire français », a-t-il insisté. Une proposition que le porte-parole du Rassemblement national, Laurent Jacobelli, s’est empressé d’applaudir des « deux mains ». Il faut dire que deux jours auparavant, son parti annonçait son intention de faire une proposition de loi en ce sens.

Sauf que… le dispositif, créé en 1945, n’a jamais été supprimé. Le nombre de peine d’interdiction du territoire français - ce qu’on appelle communément la double peine - a même augmenté de près de 40 % depuis 2019. Selon les chiffres du ministère de la Justice, les juridictions en ont prononcé 6.298 en 2023, contre 4.579 quatre ans plus tôt.

Une peine complémentaire

Pour comprendre la polémique, un petit cours de droit s’impose. Selon l’article 131-30 du Code pénal, la peine d’interdiction du territoire peut être prononcée, soit à titre définitif soit pour une durée allant jusqu’à dix ans, à l’encontre d’un étranger « coupable d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à trois ans. » « Il s’agit d’une peine complémentaire qui ne peut être encourue que pour certaines infractions », précise une source judiciaire. Cela concerne tous les crimes, mais également les agressions sexuelles, les violences graves, le trafic de stupéfiants, l’usage de faux papiers, la fraude aux mariages… En revanche, un étranger condamné, par exemple, pour un refus d’obtempérer ou des violences avec arme n’ayant pas entraîné d’incapacité ne pourra se voir infliger une telle peine.

C’est bien là le cœur du débat. Lorsque des hommes et femmes politiques réclament le retour de la double peine, ils veulent en réalité son élargissement. En clair : qu’ils s’appliquent à davantage de délits mais également à tous les étrangers. Car depuis la création de cette peine, cette disposition a fait l’objet de plusieurs réformes visant à l’encadrer. Parmi les plus importantes, celle engagée en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur : il a réduit son champ d’application en élargissant les catégories de « citoyens protégés ».

La peine d’interdiction de territoire français ne peut être prononcée contre un étranger arrivé en France avant l’âge de 13 ans ou habitant depuis plus de vingt ans sur le territoire, contre un étranger marié depuis plus de quatre ans avec une personne française ou ayant des enfants français… Seules exceptions : si ces derniers ont été condamnés pour des faits de terrorisme, des affaires portant atteinte aux « intérêts fondamentaux de la Nation » ou des crimes ou délits s’exerçant au sein de la cellule familiale.

De multiples exceptions

Mais cet encadrement a été fortement infléchi par la dernière loi immigration, entrée en vigueur en janvier. Si ces catégories de citoyens protégés existent toujours, elles sont de plus en théoriques tant les exceptions se sont multipliées. Elles ne peuvent désormais plus s’appliquer aux étrangers condamnés pour un crime ou un délit punissable d’au moins cinq ans de prison, voire trois ans si celui-ci a été commis en situation de réitération. « Concrètement, cela réduit drastiquement le nombre de personnes pouvant entrer dans les catégories protégées », insiste une source judiciaire.

Cela ne signifie toutefois pas que tous les étrangers condamnés se verront infliger une peine d’interdiction de territoire. Le Code pénal précise en effet que la juridiction doit tenir compte « de la durée de la présence de l’étranger sur le territoire français ainsi que de la nature, de l’ancienneté et de l’intensité de ses liens avec la France pour décider de prononcer l’interdiction du territoire français ». C’est le principe de l’individualisation de la peine, clé de voûte du système judiciaire.

Relais administratif

Enfin, puisque tous ces débats découlent du meurtre de la jeune Philippine au bois de Boulogne le 20 septembre, une précision et non des moindres : les mineurs, quels que soient leurs crimes ou délits, ne peuvent être condamnés à une peine d’interdiction du territoire. Or, lors de sa première condamnation pour viol, le principal suspect avait 17 ans.

En revanche, et c’était le cas dans ce dossier, même si une telle peine n’est pas prononcée par la justice, le préfet peut prendre le relais et demander l’expulsion de la personne condamnée en émettant une ordonnance de quitter le territoire français, la fameuse OQTF.