Sang, ADN, mais la justice s’occupe toujours peu d’une noyée de la Deûle

Noyée de la Deûle : Du sang, une trace ADN, mais une enquête qui reste au point mort

Chemin de croixLa mère d’une victime, retrouvée noyée dans la Deûle en 2012, dénonce les lenteurs de la justice
Gilles Durand

Gilles Durand

L'essentiel

  • Dix ans après la mort de sa fille retrouvée noyée dans le canal de la Deûle, dans le Nord, une Nordiste poursuit son combat pour faire reconnaître le caractère criminel de ce décès.
  • Une analyse des vêtements, effectuée plusieurs années après le décès d’Ingrid Marchal, a révélé la présence de sang et d’une trace ADN.
  • Depuis cette découverte, il y a trois ans, l’enquête n’a pourtant pas avancé.

Elle ne s’en remettra jamais. Pourtant, Dominique Blondiaux ne perd pas espoir de découvrir la vérité près de douze ans après la mort de sa fille, Ingrid Marchal. Juriste de 32 ans, cette jeune femme avait été retrouvée noyée dans la Deûle, le 31 décembre 2012 à Lille, dans des circonstances qui restent non établies à ce jour. Depuis lors, avocats et juges d’instruction se succèdent dans ce dossier qui n’avance pas.

Malgré une dizaine d’années d’errance dans de multiples procédures judiciaires, Dominique Blondiaux continue de se battre pour savoir comment Ingrid est morte. Aujourd’hui, elle s’accroche à un nouvel espoir : faire reconnaître le décès de sa fille comme étant une mort criminelle. Toutefois, la justice freine des quatre fers.

« Je me suis retrouvée à l’hôpital »

Dernier revers en date : le refus d’analyser la probabilité de correspondance avec un profil à partir de la trace ADN retrouvée sur les vêtements que portait la victime le soir de sa disparition. « Cette nouvelle a été trop dure pour moi, je me suis retrouvée à l’hôpital », raconte à 20 Minutes, Dominique Blondiaux, épuisée par son combat. Il est vrai que cet épisode s’ajoute à une longue série de dysfonctionnements qui plombent la santé de cette habitante de Villers-Outréaux, près de Cambrai, dans le Nord.

Tout commence le 31 décembre 2012 lorsqu’une officière de police lui annonce en fin d’après-midi par téléphone que le corps de sa fille, disparue quinze jours plus tôt, a été découvert dans le canal de la Deûle. « On m’a dit que je ne pourrais pas voir ma fille tout de suite car le lendemain, c’était le Nouvel An. Ce fut une attente horrible », se souvient la maman.

S’ensuivra une enquête où police et justice refuseront de creuser l’hypothèse criminelle. L’analyse de la téléphonie révèle pourtant des éléments probants qui n’alerteront personne. Il faudra attendre un an et demi pour qu’une instruction judiciaire soit ouverte, puis refermée quatre ans plus tard sur un non-lieu. Dominique Blondiaux ne baisse néanmoins pas les bras. Elle rédige son témoignage dans un livre* pour raconter la faillite de l’enquête et ses déboires judiciaires.

Scellés disparus

En juin 2020, une nouvelle information judiciaire est ouverte pour « recherches supplémentaires des causes de la mort » grâce à un vice-procureur de Lille, Bruno Dieudonné, en fonction à l’époque. Le magistrat a eu le nez creux en réclamant, enfin, une analyse ADN sur les vêtements de la victime, placés sous scellés. Or, ces pièces sont restées plus d’un an introuvables.

Dominique Blondiaux et son avocate lilloise, Me Margaux Machart, ont dû lutter avec acharnement pour que l’administration judiciaire « retrouve » les fameux scellés qui avaient même été officiellement annoncés comme détruits ! Il a fallu un recours amiable engagé contre l’Etat pour qu’ils réapparaissent miraculeusement.

Le temps passe et, en octobre 2021, la première bonne nouvelle de cette instruction parvient à la mère de la victime : l’examen des vêtements dévoile une trace génétique masculine, mais aussi des traces de sang qui, jusqu’alors, n’apparaissaient dans aucune des constatations et expertises antérieures. Le postulat d’une mort accidentelle s’étiole.

« Le sang, c’est celui d’Ingrid et on le retrouve sur son tee-shirt, blouson et pantalon. Or l’autopsie ne mentionne aucune trace de coups. C’est étrange. Le médecin légiste s’est-il trompé ? », s’interroge Dominique Blondiaux.

« Ce dossier fait peur »

Un an plus tard, en 2022, nouveau coup de théâtre : la trace ADN matche avec le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Pour Dominique Blondiaux, la persévérance semble enfin porter ses fruits. Mais l’espérance est de courte durée. L’empreinte ADN appartient à un individu non identifié qui avait laissé ses traces génétiques dans une voiture volée. Impossible de mettre un nom sur un éventuel suspect.

Qu’importe, l’avocate de Dominique Blondiaux demande une nouvelle expertise sur la trace ADN, en début d’année, afin de définir d’éventuelles caractéristiques physiques d’un suspect. L’expert refuse, cette fois, de se livrer à cet exercice estimant que l’ADN est trop altéré. Fin de non-recevoir. « Je me suis renseignée. En Belgique et au Canada, l’ADN est exploité avec des traces plus altérées que celles que nous avons », regrette Me Margaux Machart.

C’en est trop pour Dominique Blondiaux qui craque. « Ce dossier fait peur. Depuis le début, on nous cache des choses », affirme-t-elle, à bout de nerfs. Depuis le début, cette mère en colère est persuadée que l’enquête aurait dû se focaliser sur l’entourage de sa fille. Elle affirme que cette dernière avait reçu des menaces de mort peu de temps avant son décès. Une piste qui n’a jamais été explorée.

« Avec tous ces éléments, je ne comprends pas que la mort de ma fille ne soit pas reconnue comme une affaire criminelle, s’insurge-t-elle. Et je refuse qu’Ingrid soit oubliée par la justice. »

* Ingrid, le mystère de la Deûle, paru en octobre 2019, aux éditions Les Lumières de Lille.