interviewAnaïs Gletty a rencontré la meurtrière de son père et lui a pardonné

« J’ai pardonné à la personne, pas son acte »… Anaïs a rencontré la meurtrière de son père

interviewDans « Pardonner », un livre écrit avec la journaliste Nathalie Mazier, Anaïs Gletty raconte sa « rencontre bouleversante » avec celle qui a tué son père onze ans plus tôt
Thibaut Chevillard

Propos recueillis par Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • En février 2012, le corps de Philippe Gletty est découvert criblé de balle sur un petit chemin du massif du Pilat. Quelques jours plus tard, Bettina Beau, la secrétaire et maîtresse de ce chef d’entreprise passe aux aveux. Elle a été condamnée en 2014 à dix-huit ans de prison.
  • En 2023, Anaïs, la fille de Philippe Gletty, décide de rencontrer la meurtrière de son père pour lui poser les questions qu’elle se pose depuis les faits et mieux cerner sa personnalité. Une mesure de justice dite « restaurative », mise en place en 2017.
  • Dans le livre Pardonner, coécrit avec la journaliste Nathalie Mazier, et qui sort ce jeudi chez Mareuil Éditions, Anaïs raconte pourquoi elle a entamé cette démarche et décrit ce qu’elle retient de cette expérience.

Février 2012. Enceinte de son premier enfant, Anaïs n’a que 22 ans lorsqu’elle apprend la mort de son père, Philippe Gletty. Le corps de ce chef d’entreprise de 48 ans a été retrouvé criblé de balles sur un chemin de campagne, non loin de Saint-Étienne. Quelques jours plus tard, les gendarmes interpellent Bettina Beau. Celle qui a été la secrétaire et la maîtresse de la victime passe rapidement aux aveux. Le 24 mai 2014, elle est condamnée à dix-huit ans de prison par la cour d’assises de la Loire.

Neuf ans plus tard, Anaïs a pu rencontrer Bettina Beau qui est sortie de détention en 2021. Elle a ressenti le besoin de comprendre les raisons de ce passage à l’acte et de pardonner à son auteur. « J’ai un gros poids en moins depuis que j’ai réussi à comprendre que c’est un être humain comme tout le monde », explique-t-elle à 20 Minutes. Dans Pardonner*, un livre, qui sort ce jeudi, écrit avec la journaliste Nathalie Mazier – une spécialiste des affaires criminelles – elle raconte sa « rencontre bouleversante » avec celle qui a tué son père.

Pourquoi, après le procès, avez-vous voulu rencontrer la femme qui a tué votre père ?

Le procès a été très frustrant. J’espérais obtenir des réponses de sa part, en particulier comprendre « pourquoi ? ». Mais on est reparti avec autant d’interrogations que de réponses. J’ai toujours voulu aller au bout des choses, c’est dans ma personnalité. Alors après ça j’ai eu envie de la rencontrer. Ça ne s’est pas fait facilement parce que ce n’est pas dans les mœurs qu’une victime rencontre une accusée.

On nous a quand même mis pas mal de bâtons dans les roues. J’avais demandé à mon avocat si je pouvais aller la voir au centre pénitentiaire. Mais le procureur s’y est opposé. Il a fallu plusieurs années pour réussir à la rencontrer. Ma première demande date de 2014 et je l’ai vue en 2023.

Faute de pouvoir la voir, vous lui écrivez des lettres…

Oui, j’écrivais chez moi sur des cahiers. Et le 27 février 2016, c’était le 4e anniversaire du décès de mon père. Plutôt que de tout garder pour moi, j’ai décidé de lui écrire une lettre et de lui confier les épreuves que je venais de traverser.

Nous avons échangé par courrier entre 2016 et 2021 à six ou sept reprises. Il y a eu des périodes où on s’est beaucoup écrit, et d’autres moins. Dans l’une de ses réponses, elle m’explique plus ou moins les raisons de son passage à l’acte. Il m’a fallu deux ans pour digérer ce qu’elle m’a dit.

Et puis en 2019, elle vous propose cette mesure de justice restaurative. Comment avez-vous préparé ce rendez-vous ?

Le processus s’est vraiment déclenché en 2020. Mais il y a eu la crise sanitaire et la rencontre n’a pas pu être organisée en milieu carcéral. Il a fallu attendre qu’elle sorte de détention, ça a été un peu compliqué. La justice restaurative, ce n’est pas quelque chose d’anodin. Il y a plusieurs étapes à suivre, c’est quelque chose de bien encadré et de très préparé. J’ai eu quatre entretiens avant de pouvoir la voir. Avec un animateur, on a tout remis à plat : pourquoi on veut la rencontrer, qu’est-ce qu’on veut lui dire, qu’est-ce qu’on ne veut pas lui dire, qu’est-ce qu’on ne veut pas entendre.

On essaie de déterminer si cette rencontre peut être bénéfique pour toutes les deux ou s’il y a une qui risque que l’une fasse du mal à l’autre. Il faut que cette démarche soit constructive pour tout le monde. Par chance on était sur la même longueur d’onde et ça a pu aller jusqu’au bout.

Lorsque vous la rencontrez, vous lui dites que vous lui pardonnez. Était-ce important pour vous ?

Pardonner ça ne veut pas dire être d’accord avec ce qui s’est passé, ça ne veut pas dire cautionner. On ne peut pas pardonner à quelqu’un d’avoir tué son père, ce n’est pas possible. Moi, j’ai juste pardonné àBettina, la personne qui était en face de moi, pas ce qu’elle a fait et qui est impardonnable. Je l’ai fait pour moi dans un premier temps, pour chasser cette colère et pour être plus apaisée. Ça lui a servi à elle aussi, tant mieux, j’ai envie de dire.

Ce que j’attendais surtout de cette rencontre, c’était de retrouver l’être humain. Ce qu’elle a fait c’est monstrueux et je n’arrivais pas à me défaire de cette image. C’était donc capital de le faire pour avancer.

Pensez-vous que l’expérience a aussi été bénéfique pour elle ?

De ses propres mots, ça lui a rendu une part d’humanité parce que finalement, elle aussi s’est vue pendant longtemps comme un monstre. Ça l’a aidé à entrevoir plus sereinement l’avenir.

Depuis que vous l’avez rencontrée, avez-vous l’impression d’aller mieux ?

J’ai un gros poids en moins depuis que j’ai réussi à comprendre que c’est un être humain comme tout le monde. Elle a commis un truc un jour dans sa vie, mais elle ne se résume pas qu’à ça. Moi, ça m’a aidé à avancer, à relativiser les choses. Je n’ai pas davantage de réponses à mes questions qu’avant, parce qu’elle-même ne les a pas. Mais en tout cas, ça m’a aidé à tourner la page.

Est-ce que vous avez prévu de la revoir un jour ?

Lors de notre rencontre, on s’est dit qu’on essaierait de se revoir hors du cadre de la justice restaurative. Actuellement, c’est quelque chose qui n’est pas possible parce qu’elle a interdiction de rentrer en contact avec les parties civiles dont je fais partie. Sa peine arrive bientôt à la fin. On pourra se revoir, mais ce n’est pas en projet pour le moment. C’est en tout cas rassurant pour moi de savoir qu’elle est d’accord pour le faire. Si un jour, moi ou mes enfants avons d’autres questions à lui poser, on pourra le faire car la porte reste ouverte.

*« Pardonner : Ma rencontre bouleversante avec celle qui a tué mon père », d’Anaïs Gletty et Nathalie Mazier, éditions Mareuil, 207 pages, 20 euros