Pourquoi est-il si complexe de trouver des preuves de violences sexuelles ?

Violences sexuelles : Pourquoi est-il si complexe de trouver des preuves ?

droit pénalLes trois-quarts des dossiers de violences sexuelles entre 2012 et 2021 sont classés sans suite à cause du manque de preuves, selon une étude
Violences faites aux femmes: pourquoi 80 % des plaintes sont-elles classées sans suite ?
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Les trois-quarts des affaires de violences sexuelles sont classées sans suite, selon une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP), publiée mercredi.
  • La note s’appuie sur des dossiers traités entre 2012 et 2021 et affirme que ces classements sont liés au manque de preuves et au fait que ces violences soient, selon les magistrats, « insuffisamment caractérisées ».
  • Pourquoi est-ce si difficile de récolter des preuves de culpabilité du suspect dans les affaires de violences sexuelles ?

Une personne est innocente jusqu’à la preuve de sa culpabilité. C’est le principe du droit français et toute la complexité des affaires pénales, parmi elles, celles portant sur des faits de violences sexuelles. Plus des trois quarts des dossiers entre 2012 et 2021 ont été classés sans suite faute de preuve, c’est-à-dire que le parquet a décidé d’abandonner les poursuites considérant qu’il n’avait pas assez d’éléments pour aller plus loin, selon une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP), publiée ce mercredi. Car pour les faits de violences physiques, et d’autant plus quand elles sont sexuelles, les preuves peuvent être particulièrement difficiles à apporter.

Cependant, selon Laurent Desgouis, secrétaire national du Syndicat de la magistrature, les choses ont évolué depuis 2021 avec une « augmentation du taux de poursuites grâce au phénomène #MeToo ». Aujourd’hui, selon lui, « on attache plus d’importance à la parole de la plaignante sans pour autant que ce soit l’alpha et l’omega pour éviter de tomber dans un système parole contre parole ». Pour cela, il faut réunir des « éléments probatoires », soit des preuves, pour venir étayer cette parole.

Et le témoignage arrive souvent tardivement, parfois trop tard. « La parole est souvent bridée parce que la victime est en état de sidération », explique encore le magistrat. La sidération, c’est quand ce qui nous est arrivé est si terrible à enregistrer pour notre cerveau qu’on ne croit pas que ça s’est vraiment passé. Cet état peut durer longtemps. Parfois, des victimes prennent la parole des années, voire des décennies, après les faits. D’où la question de la prescription pour ce genre de faits qui revient régulièrement dans le débat public, comme récemment après les plaintes déposées par Judith Godrèche contre deux réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour « viol sur mineure ».

L’obstacle des preuves matérielles

Une fois la parole recueillie, les enquêteurs doivent alors rechercher des éléments pour confirmer les dires du ou de la plaignante. Or, dans ce genre d’affaires portant sur des violences physiques, « on a rarement des preuves matérielles telles que des vidéos, des enregistrements, des témoignages directs », rapporte Laurent Desgouis.

« A partir du moment où les faits sont niés, il faut confronter deux types de discours, deux expertises psychologiques, psychiatriques, il faut que les juges et les policiers repèrent tout ce qui peut donner lieu à une interprétation dans un sens ou dans l’autre, et tout cela a considérablement évolué », estime à son tour un ancien magistrat à la retraite qui préfère garder l’anonymat.

Grâce aux avancées techniques, les choses ont tout de même évolué, notamment grâce à l’utilisation de l’ADN qui permet d’attester le rapport sexuel. Si cette preuve est apportée, faut-il encore démontrer que la plaignante n’était pas consentante. C’est sur ce point que l’acteur et humoriste Ary Abittan accusé de viol a obtenu mardi un non-lieu. Les deux juges d’instruction ont levé les charges en l’absence « d’indices graves ou concordants en faveur d’acte de pénétration sexuelle imposée par violence, contrainte, menace ou surprise ».

L’urgence des prélèvements médicaux

L’examen médico-légal est un passage précieux pour récolter des éléments de preuves. Il permet de constater des lésions au niveau des zones de pénétration en cas de viols, ou des traces de coups ou de blessures qui attestent d’un acte forcé. Mais cet examen doit être réalisé moins de cinq jours après les faits, « au-delà on ne peut plus faire des prélèvements », explique Sophie Tellier, médecin légiste à la Maison des femmes de Saint-Denis et au sein de l’unité médico-judiciaire de Bondy.

Quand les faits sont anciens ou que la personne vient après s’être lavée, il y a très peu de chances de retrouver des traces ADN. « Plus on est proche des faits, plus on a de chances de trouver des éléments », confirme Renaud Clément, chef de l’unité médico-judiciaire au CHU de Nantes. Toutefois, l’examen médico-légal ne constate des lésions que dans 10 à 30 % des cas. Et « dans 70 à 80 % des cas, il n’y a pas de traces traumatiques physiques », souligne Renaud Clément. « S’il n’y a pas de lésion ni d’ADN, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu agression », nuance Sophie Tellier.

Il reste alors les éléments de traumatismes psychologiques qui peuvent apporter une pierre au dossier. « On s’attache à repérer les troubles qui subsistent chez les personnes qui ont subi ce type d’atteintes. C’est très documenté maintenant, on essaye de repérer des éléments de stress post-traumatique », affirme Laurent Desgouis. D’autant que ces traces de l’agression, elles, s’effacent bien moins vite que les marques physiques.