Paris : Un gang nigérian, qui piégeait des femmes avec le « loverage », jugé pour proxénétisme et avortements forcés
Trafic•« Ces groupes (….) sont omniscients. Ils ont des yeux partout pour surveiller les filles, qui sont sous une emprise totale : amoureuse, psychologique, financière… »20 Minutes avec AFP
C’est une nouvelle histoire de traite d’êtres humains qui sera jugée cet été à Paris. Au total, sept membres d’une même organisation nigériane, soupçonnés notamment de proxénétisme en bande organisée en Europe sur leurs petites amies, passeront devant la cour criminelle départementale.
C’est une juge d’instruction qui a ordonné leur procès pour des activités entre janvier 2019 et juin 2021, en France, en Belgique, en Italie, en Suisse et au Nigeria, a appris l’AFP ce lundi de sources proches du dossier.
« Elle voulait garder les enfants mais lui non, car ce n’était pas “rentable” pour une prostituée »
L’enquête a permis de montrer que « chacun des protagonistes avait à sa disposition plusieurs jeunes femmes, se livrant à la prostitution en France (…) mais également à l’étranger », d’après l’ordonnance de mise en accusation rendue mi-décembre. L’un d’entre eux, coiffeur de 41 ans, comparaîtra aussi pour avoir imposé dix avortements à sa petite amie.
« Elle voulait garder les enfants mais lui non, car ce n’était pas “rentable” pour une prostituée », affirme l’avocate de la partie civile, Me Kathleen Taieb. « Ces groupes (….) sont omniscients, explique-t-elle. Ils ont des yeux partout pour surveiller les filles, qui sont sous une emprise totale : amoureuse, psychologique, financière… »
Sa cliente accuse ainsi son ex de lui avoir soutiré 30.000 euros et de l’avoir battue.
Des confraternités devenues organisations criminelles
Comme les six autres, l’homme a contesté les faits reprochés tout au long des investigations. « Ce dossier renferme des incohérences factuelles et exagérations quant aux descriptions des groupes en présence », a assuré son avocat, Me Julien Fresnault.
Ces groupes, ce sont les « cult », nés au Nigeria. D’abord simples associations étudiantes, ces confraternités deviennent des organisations « ouvertement criminelles à partir des années 1990 » et sont aujourd’hui impliquées en Europe « dans le trafic de stupéfiants et la traite des êtres humains », note la juge d’instruction.
Un procès les a récemment mis en lumière en France : fin novembre 2023, quinze membres des « Arrow Baga » ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Marseille à des peines allant de deux à dix ans de prison pour leurs méthodes ultraviolentes, notamment deux viols collectifs de prostituées. Leur procès en appel se tiendra en avril à Aix-en-Provence.
Polygamie et prostitution
Dans le dossier parisien, les sept accusés, âgés de 26 à 43 ans, appartiennent aux « Maphite », un groupe dont le « commandement suprême » est assuré depuis Benin City, dans le sud du Nigeria, explique la juge d’instruction.
Recruté lors « d’un rite initiatique violent » avec « du feu », « chaque membre doit contribuer financièrement au développement de l’organisation en versant 10 % des avoirs criminels récoltés ». La magistrate décrit une organisation de type « paramilitaire ».
Les accusés n’en ont pas la même définition. L’un mentionne aux enquêteurs des « festivités et de l’entraide » au sein de la communauté nigériane. Les mis en cause, polygames, ont aussi assuré que leurs petites amies « partageaient volontairement leurs gains professionnels ».
La stratégie du « loverage »
Pour la magistrate, c’est typique de la stratégie du « loverage ». « Au prétexte d’une relation amoureuse », ils imposaient aux femmes de se prostituer et de leur « remettre des présents », usant aussi de « violences » et de « menaces de sorts », selon l’accusation.
Me Céline Le Goff représente l’une des parties civiles. Sa cliente a subi « deux pièges », raconte-t-elle à l’AFP. Le premier, « très jeune », lors de son transport du Nigeria en Europe : pour compenser le coût supposé du voyage, des proxénètes la forcent à se prostituer et à rembourser une dette de 25.000 euros.
Après s’être acquittée de la dette, elle a rencontré son compagnon maphite. « Cet homme, qui était officiellement son petit ami, appartenait en réalité à la confraternité maphite et continuait à l’exploiter », affirme Me Le Goff.
Prostitution quotidienne sous peine d’être battue
Une autre femme, arrivée en France en 2015, a raconté qu’elle se prostituait ponctuellement pour son compte lorsqu’elle a rencontré son petit ami. Son activité devient alors quotidienne sous peine d’être « battue ».
Son avocate, Me Catherine Daoud, a salué sa « force de caractère ». « Après tout ce qu’elle a subi, ma cliente est capable de dénoncer des gens très dangereux et compte venir au procès », prévu du 24 juin au 5 juillet.
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