Vols à l’étalage : Afficher les voleurs devant les magasins, une pratique bientôt légale ?
NAME & SHAME•Une proposition de loi visant à rendre légal l’affichage des images de vidéosurveillance de personnes prises en flagrant délit de vol a été déposée. Une mesure qui pose des questions juridiquesCaroline Politi
L'essentiel
- En 2022, près de 42.000 plaintes pour des vols à l’étalage ont été consignées par les services de police et de gendarmerie. Soit une augmentation de 14 % en un an.
- Le député Modem Romain Daubié a déposé une proposition de loi fin janvier pour légaliser la publication de ce type d’images. Une démarche soutenue par le collectif de commerçants « Ras-le-Vol ».
- Cette proposition pose toutefois la question du respect de la présomption d’innocence et interroge quant à son efficacité.
Claude Zimmer n’a jamais regretté son coup de sang. « Si la situation se reproduisait, je ne me poserais pas la question », confie ce gérant d’un dépôt-vente à Forbach, en Moselle. En octobre 2022, excédé par un énième vol à l’étalage, il a publié sur Facebook des images de vidéosurveillance montrant deux femmes voler des bibelots dans ses étals. « Quelques jours plus tard, elles nous ont rendu les objets. Elles nous ont dit que chacune pensait que l’autre avait payé. »
Le commerçant n’a pas cru à leurs explications mais qu’importe : il a récupéré ses biens. Depuis, Claude Zimmer a publié d’autres vidéos : pas de vols mais des actes de vandalisme ou des dégradations, à l’instar de cet homme qui a déféqué sur le parking de son enseigne. « Maintenant, les voleurs savent qu’on peut les afficher publiquement. Le problème, c’est qu’ils font attention à ne pas être dans les angles des caméras », précise-t-il.
La pratique est pourtant, à l’heure actuelle, illégale. Afficher publiquement le visage d’une personne sans son consentement – même si celle-ci s’est rendue coupable d’un délit – est punissable d’un an de prison et de 45. 000 euros d’amende, précise l’article 226-1 du Code pénal. « Moi, je n’ai pas du tout été inquiété et je connais de nombreux commerçants qui ont fait comme moi sans que cela pose le moindre problème », assure Claude Zimmer. Dans les faits, les poursuites sont exceptionnelles : rares sont les voleurs a porté plainte contre les commerçants et les forces de l’ordre ont une certaine tolérance à leur égard. « On leur demande de retirer les affiches, ça ne va pas plus loin, reconnaît un gendarme. Déjà, qu’ils sont victimes… »
« Un effet dissuasif sur la récidive »
Face à l’ampleur du phénomène, Romain Daubié, député Modem de l’Ain, a déposé fin janvier, une proposition de loi pour légaliser la pratique. Ce « name and shame » – un concept américain qui signifie nommer et faire honte – aurait, selon lui, pour conséquence de « responsabiliser les auteurs des faits mais aussi un effet dissuasif sur la récidive ». Et l’élu de rappeler les chiffres : en 2022, près de 42.000 plaintes pour des vols à l’étalage ont été consignées par les services de police et de gendarmerie. Soit une augmentation de 14 % en un an. Le texte prévoit un consentement présumé du droit à l’image à partir du moment où il est précisé sur la devanture du magasin que l’enseigne dispose d’un système de vidéosurveillance. Une telle disposition ne pourrait s’appliquer aux mineurs, précise le projet.
Cette initiative est soutenue par le collectif de commerçants « Ras-le-Vol » , présidé par Jérôme Jean. Fin décembre, cet ancien propriétaire de deux magasins de prêt-à-porter à Amiens (Somme) a lancé une pétition pour autoriser la diffusion de ces images. « L’objectif est de dissuader les voleurs, de faire de la prévention auprès des autres commerçants et de faire avancer l’enquête, précise-t-il. Ça ne veut pas dire jouer les cow-boys mais apporter des éléments nouveaux. »
En un mois et demi, il a réuni un peu plus de 6.600 signatures. Lui-même a diffusé l’an dernier une vidéo montrant trois personnes voler allègrement dans son magasin. « C’était la première fois que je mettais en ligne ce genre d’images mais c’était vraiment le vol de trop, mes limites avaient été atteintes », confie-t-il. Selon ses calculs, chaque année entre 15.000 et 18.000 euros de produits étaient volés.
Présomption d’innocence
La proposition, pourtant, est loin de faire l’unanimité et pose la question de la présomption d’innocence. « Si sur les images, on voit quelqu’un ouvrir son sac pour y fourrer une doudoune puis partir en courant, je ne vois pas trop où est le problème », assure Jérôme Jean. D’un point de vue moral, peut-être, mais sur le plan juridique, même avec des images sans équivoque, une personne est présumée innocente jusqu’à sa condamnation définitive. Le député Romain Daubié précise que dans le dispositif qu’il propose, le conditionnel serait de rigueur et les noms n’apparaîtraient pas. Parmi les autres questions que pose le texte, comment être certain que la personne affichée n’est pas mineure ? Et quid du droit à l’oubli, fondamental en matière de réinsertion ?
Se pose également la question de l’efficacité d’un tel dispositif. Jérôme Jean affirme que la diffusion de ses images lui a permis de communiquer aux enquêteurs un nom et leur fournir une plaque d’immatriculation… tout en reconnaissant que plus d’un an après sa plainte, l’enquête est toujours en cours. « Sur le côté dissuasif, cela a peut-être un impact mais sur le volet enquête en elle-même, c’est vraiment très marginal », estime une source policière, rappelant que ces images sont communiquées par les commerçants lorsqu’ils portent plainte. A ses yeux, cela pourrait même avoir un aspect contre-productif : certaines bandes très mobiles, se sachant rechercher, pourraient changer de régions, voire de pays. « Il y a un décalage entre l’intention et le but poursuivi », insiste-t-il.
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