Attentat de Trèbes : L' « acte de courage héroïque » d’Arnaud Beltrame était une « erreur au sens militaire »
PROCES•Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame a pris la place de la caissière retenue en otage par l’assaillant du Super U. Un geste en dehors de tous les protocoles militairesCaroline Politi
L'essentiel
- Le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne s’est ouvert lundi devant la cour d’assises spéciale. Quatre personnes, parmi lesquelles Arnaud Beltrame, ont été tuées.
- Le lieutenant-colonel a pris la place d’une jeune hôtesse de caisse retenue en otage par le terroriste.
- Son geste, héroïque mais en dehors de tout protocole, a toutefois suscité l’incompréhension de ses collègues.
A la cour d’assises spécialement composée, à Paris,
Le sujet est particulièrement délicat et tous ceux qui s’y engagent le font à pas feutrés. Chaque parole est mesurée, pesée, pour ne pas susciter la polémique, ou pire encore, manquer de respect à un mort. Une figure héroïque, de surcroît. La question, toutefois, ne pouvait être totalement éludée par la cour d’assises spéciale qui juge les attentats de Trèbes et Carcassonne : l’intervention du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame a-t-elle pu compliquer l’assaut du Super U ? Le militaire a volontairement pris la place de Julie, une jeune femme qui était retenue par le terroriste Radouane Lakdim. « Le fait de s’échanger avec un otage, ce n’est pas du tout dans les procédures, c’est une erreur au sens militaire mais c’est un acte d’un courage héroïque », finit par résumer à la barre l’ancien négociateur du GIGN, David Corona.
Ce 23 mars 2018, lorsqu’est déclenché le plan « Charlie Tango 11 » - pour contre-terrorisme dans le département de l’Aude – le major Anthony Garcia, à la tête du peloton de surveillance et d’intervention (PSIG) de Carcassonne est parmi les premiers à arriver sur les lieux. Les images de vidéosurveillance montrent deux victimes gisant à terre et de nombreux otages. Le terroriste, retranché avec l’hôtesse de caisse dans la salle des coffres, hurle Allah Akbar. L’intervention s’impose. Le protocole est clair : libérer le maximum d’otages et « fixer » le terroriste pour qu’il ne puisse pas se déplacer. Puis attendre les services spécialisés, en l’occurrence le GIGN.
« Je lui demande de rester derrière les rayons »
Alors qu’avec ses hommes il évacue les otages, le major s’étonne de constater qu’Arnaud Beltrame, officier adjoint du groupement de gendarmerie de l’Aude, se trouve également dans le supermarché. Ces deux spécialistes de la lutte contre le terrorisme se connaissent bien, ils ont même échangé quelques mots devant les images de vidéosurveillance mais le colonel Beltrame n’est, ce jour-là, pas équipé pour une telle intervention. « Je lui demande de rester derrière les rayons de façon à se protéger », détaille le militaire, droit comme un « i » à la barre. Devant la porte de la salle des coffres, une négociation s’engage entre le major Garcia et Radouane Lakdim. Plus pour la forme que dans l’espoir d’obtenir une reddition. « Dans ce type de tuerie de masse, les négociations sont vaines », précise le gendarme.
Selon son récit, le colonel le rejoint malgré tout rapidement et « prend les choses en main ». « Il décide de s’échanger avec la caissière. Je lui réponds non, il ne faut pas faire ça. » Mais Arnaud Beltrame pose son arme et s’engouffre dans la salle tandis que la jeune caissière est relâchée. « On pourrait croire que le remplacement d’un civil par un gendarme est préférable, car il y aurait une possibilité d’action mais le fait de se faire remplacer n’apporte rien de plus », précise le major Garcia. Son geste étonne d’autant plus que lors de cette substitution, la situation était « figée ». Hormis la caissière retenue par le terroriste, tous les otages avaient été évacués, l’assaillant était retranché dans une pièce, le GIGN – tant l’antenne locale que national – était en route.
« Attaque ! Assaut ! Assaut ! »
De ce huis clos de près de trois heures, on ne saura pratiquement rien. Le négociateur du GIGN n’est parvenu à les joindre que quelques minutes avant l’assaut final. « Le colonel Beltrame a une voix tendue mais on le sent prêt à l’action », détaille-t-il à la barre. Radouane Lakdim réclame la libération de Salah Abdeslam mais un bruit sourd se fait entendre. Le négociateur peine à comprendre la situation. En réalité, le colonel vient de hurler « Attaque ! Assaut ! Assaut ! » « On suppose qu’Arnaud Beltrame a tenté sa chance et sauté à la gorge du terroriste », analyse-t-il rétrospectivement. Mais ses mots ne sont pas compris. L’assaut ne sera donné que de très longues minutes plus tard. Grièvement blessé à la gorge, Arnaud Beltrame est décédé dans la nuit à l’hôpital.
« Je pense que pour lui, en se substituant à un civil, cela devenait un problème entre un soldat et un terroriste, ce n’était plus la même nature de crise », reprend le colonel Sébastien Gay, le commandant du groupement de gendarmerie, le chef d’Arnaud Beltrame. Mais lui-même le reconnaît, « ce n’est pas parce que la nature de l’otage a changé que la mission a changé. » Et d’insister : « Un otage reste un otage. » Sur ce point, l’ancien chef de la cellule négociation du GIGN, David Corona, est plus nuancé. « Ca aurait été un avantage dans toute autre situation sauf face à un terroriste qui a pour but de tuer un policier ou un militaire, la valeur de l’otage augmente. » Toutefois, il l'assure, s'il avait été confronté au même dilemme, il aurait probablement fait le même choix qu'Arnaud Beltrame.