« Je ne suis pas un infirme, je suis mort », dit Théo au procès des policiers

Affaire Théo : « Je ne suis pas un infirme, je suis mort »… Le jeune homme raconte sa « nouvelle vie »

COMPTE-RENDUThéodore Luhaka, qui garde des séquelles à vie après avoir reçu un coup de matraque, a raconté ce lundi à la barre sa version de l’interpellation et décrit sa vie depuis le jour des faits
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Trois policiers impliqués dans l’interpellation violente de Théo Luhaka, en 2017 à Aulnay-sous-Bois, sont jugés à partir de ce mardi jusqu’au 19 janvier devant la cour d’assises de Seine-Saint-Denis. Ils sont renvoyés devant les assises pour « violences volontaires » après la blessure de ce jeune homme noir de 28 ans au niveau de la zone rectale, par une matraque télescopique.
  • Le principal accusé, âgé de 34 ans, doit répondre de « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente chez la victime ». Il encourt quinze ans d’emprisonnement.
  • La partie civile, qui garde ces séquelles irréversibles, a raconté ce lundi à la barre sa version de l’interpellation et décrit sa vie depuis le jour des faits.

A la cour d’assises de Seine-Saint-Denis,

Depuis les faits, ses prises de parole se faisaient rares. C’est peu dire que son audition, ce lundi après-midi, était très attendue. Il est 17h30 lorsque la victime traine son mètre 94 à la barre de la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis. Doudoune rouge, t-shirt et pantalon beiges, chaîne autour du cou, le jeune homme, qui garde des séquelles à vie après avoir reçu un coup de matraque près de l’anus, demande à rester debout.

« Je m’assiérai si besoin », explique-t-il à la présidente, Jadis Pomeau. En quelques mots, il se présente. « Bonjour à tous, je m’appelle Théodore Luhaka, j’ai 29 ans. Aujourd’hui je suis à la maison, je ne fais pas grand-chose. Je reste à la maison. » Derrière lui, assis sur des chaises, les trois policiers jugés pour « violences volontaires » avec circonstances aggravantes, l’écoutent décrire comment sa vie a basculé lors d’un contrôle d’identité, le 2 février 2017, dans le quartier de la Rose-des-Vents à Aulnay-sous-Bois.

Théo raconte « sa nouvelle vie »

Les mains posées sur le pupitre, Théodore Luhaka dit avoir beaucoup « changé » depuis les faits et avoir perdu la plupart de ses amis. « J’étais insupportable, détaille-t-il. Je suis plus aigri, plus méchant, renfermé sur moi. » Peu à peu, « les gens s’éloignent » de lui. Parlant rapidement et avalant les mots, le jeune homme, qui est « traumatisé », raconte sa « nouvelle vie », et ses problèmes « d’incontinences ». « La maladie que j’ai, c’est celle des femmes qui accouchent », détaille-t-il maladroitement. Plus jeune, il rêvait d’être footballeur. Mais depuis qu’il a été blessé, il n’a « jamais été en mesure » de reprendre le sport et a pris une dizaine de kilos. Mais ce qui l’embête le plus, c’est l’image qu’il véhicule dans son quartier et ce que les gens disent de lui. « Théo c’est celui qui s’est fait violer, celui qui s’est fait manger les fesses par la police », dit-il, visiblement troublé.

« Il l’a fait volontairement »

Dernier d’une fratrie de huit, Théo ne vivait plus à Aulnay-sous-Bois au moment des faits mais en Belgique. Des problèmes d’appartement l’ont contraint à retourner, un temps, en Seine-Saint-Denis, auprès de sa famille. Ce jour-là, peu avant 13 heures, il s’apprêtait à regarder sa série - Monk - quand sa sœur l’a appelé pour lui demander d’apporter une paire de chaussures à l’une de ses amies. Sur le chemin, il s’approche d’un groupe de jeunes qu’il connaît pour les saluer. C’est à ce moment-là que les trois accusés sont arrivés pour contrôler la petite bande. Ils s’en seraient alors pris à « un petit du quartier ». L’intervention dégénère. Théo assure avoir reçu « un coup de poing au visage ». A partir de là, il n’a plus qu’une « seule chose en tête : aller dans l’angle de la caméra ».

Il se rappelle avoir demandé aux policiers : « Pourquoi vous faites ça ? » « La seule réponse que j’ai eue, c’est : "Ferme ta gueule sale nègre, ferme ta gueule" », souffle-t-il. La présidente observe qu’il n’avait jamais évoqué ces « insultes racistes ». « J’ai omis de parler de plein de choses », avance-t-il. Les fonctionnaires, ajoute-t-il, ont alors tenté de le menotter. Il s’est débattu. « Pour moi, ils voulaient seulement m’emmener dans le coin. D’ailleurs, dès qu’ils m’ont menotté, c’est ce qu’ils disent : "On va t’emmener dans le coin pour te faire ta fête" », affirme encore la partie civile. Concernant le coup d’estoc reçu dans l’anus, Théo en est certain : Marc-Antoine C., le principal accusé « voulait faire mal. Il l’a fait volontairement ». Un médecin généraliste lui aurait indiqué qu’il était « impossible qu’il n’y ait eu qu’un coup » de matraque.

« Ils rigolaient »

Les policiers l’ont ensuite amené au commissariat, « comme un trophée », en proférant des insultes racistes et en lui crachant dessus. Dans la voiture, l’un d’eux aurait essayé de lui attraper les « parties intimes » tandis qu’un autre lui donnait des coups. Ce n’est qu’une fois descendu du véhicule que les accusés se seraient rendu compte qu’il saignait « du fion ». « Ils rigolaient », se souvient Théo. L’un d’eux l’aurait même pris en photo afin de poster le cliché sur Snapchat. Finalement, la cheffe de poste a alerté les pompiers qui ont transporté le jeune homme à l’hôpital.

Sept ans après les faits, il assure ne pas avoir de projets d’avenir. « Quoi que je fasse, on me dira : ''Théo Luhaka, si t’as un truc, c’est parce qu’on t’a violé.'' Ils m’ont mis une matraque dans les fesses, pour moi on m’a violé », estime le jeune homme qui répète avoir « aujourd’hui les séquelles d’une femme qui vient d’accoucher ». « Je ne suis pas un infirme, je suis mort. Je vais regarder Monk jusqu’à la fin de ma vie », déplore-t-il. Sa famille « va continuer à vivre avec un mort-vivant ». « Celui qui mettait la bonne humeur et la joie de vivre à la maison, il n’est plus là. Si quelqu’un le cherche, on sait qu’il est dans sa chambre en train de regarder Monk. La plupart de mes amis, ils sont mariés, avec des enfants. Moi je serai toujours étiqueté Théo. Quoi que je fasse, je serai dérangeant. »