JURISPRUDENCELe préjudice pour un animal reconnu pour la première fois par un juge

Lille : Une avocate se voit reconnaître un « préjudice animalier », une première en France

JURISPRUDENCEDans une affaire de cruauté envers un chat, le tribunal correctionnel de Lille vient de reconnaître, pour la première fois en France, un préjudice animalier
Gilles Durand

Gilles Durand

L'essentiel

  • Pour la première fois en France, un juge a reconnu le préjudice pour un animal dans une affaire de cruauté envers un chat.
  • Une victoire symbolique pour Me Graziella Dode, une avocate lilloise spécialisée dans la cause animale.
  • Cette décision de justice, si elle est confirmée, risque d’avoir des conséquences sur le statut juridique des animaux.

Cent euros de dommages et intérêts. La somme est dérisoire, mais elle est symboliquement forte. En reconnaissant le préjudice pour un animal dans une affaire de cruauté et en octroyant cette indemnisation pour un chat, le tribunal correctionnel de Lille a peut-être ouvert, jeudi, une boîte de pandore judiciaire. Il s’agit, en tout cas, d’une première en France. « Cela signifie qu’un animal peut obtenir des dommages et intérêts », se réjouit Me Graziella Dode, avocate au barreau de Lille et spécialisée dans la défense des animaux.

L’affaire, qu’elle a plaidée, n’avait pourtant rien d’exceptionnel. En juillet 2023, une Lilloise, alertée par les hurlements d’un chat, se met en quête de fouiller la poubelle des voisins, où elle retrouve le cadavre mutilé d’une chatte d’environ un an. L’enquête démontrera que l’animal a été frappé à mort.

« C’est considérer que l’animal est une personne »

Devant le juge comparaissait donc, jeudi, un couple, dont le compagnon avait avoué avoir tué la chatte de la maison à coups de poing et de latte de bois. « Ils ont un enfant autiste dont le comportement envers leur chatte, Lanna, n’était pas adapté. Un jour, l’animal l’a griffé et le compagnon a pété un câble. Il a frappé à mort l’animal », raconte Me Graziella Dode, qui intervenait au nom de la LPA-NF (Ligue protectrice des animaux du Nord de la France), en tant que partie civile.

Poursuivi pour « actes de cruauté envers un animal », l’homme a écopé de huit mois de prison avec sursis et interdiction de détenir un animal de compagnie. Mais l’originalité du jugement, dans ce dossier, c’est la reconnaissance de ce préjudice animalier.

Selon Fabien Marchadier, professeur de droit à l’université de Poitiers, cette décision judiciaire est effectivement une petite révolution. « C’est considérer que l’animal est une personne et que ça risque d’être plus compliqué de lui appliquer le régime des biens. Ça ouvre aussi une série de questionnements sur l’élevage ou l’expérimentation médicale sur des animaux », signale l’auteur de Sensibilité animale. Perspectives juridiques, coécrit avec Régis Bismuth, en 2015.

Indemniser les souffrances de l’animal

Cette demande de préjudice spécifiquement pour l’animal n’est pas nouvelle. Si l’avocate Graziella Dode la plaide, en vain, régulièrement depuis le mois de septembre, il existe des précédents. « En octobre 2018, une demande similaire avait été rejetée par le tribunal de Metz pour un cheval baptisé Saphir. Il s’agissait d’indemniser les souffrances de l’animal dont les blessures avaient été mal soignées. Puis en 2022, la cour d’appel de Saint-Denis-de-la-Réunion avait également refusé d’indemniser des chiens après l’incendie d’un chenil », raconte Fabien Marchadier.

C’est donc la persévérance de Graziella Dode qui est aujourd’hui récompensée. « J’espère que la décision lilloise va faire avancer la cause animale », avoue cette jeune femme de 34 ans dont l’engagement personnel date du plus jeune âge. « Petite, je voulais être vétérinaire, puis journaliste pour les animaux, glisse-t-elle à 20 Minutes. Dès que je suis devenue avocate en 2016, j’ai fait une formation pour me spécialiser en droit des animaux. »

Plaider en se mettant à la place de l’animal

Prenant exemple sur sa consœur marseillaise, Me Isabelle Terrin, l’avocate installée à Marcq-en-Barœul, près de Lille, n’hésite pas non plus à plaider en se mettant à la place de l’animal. « Je m’inspire aussi de ce qui se fait pour l’environnement, car le préjudice écologique existe déjà en droit », précise-t-elle. Mais la victoire qu’elle vient de remporter reste très fragile. « Il est possible que la décision soit cassée en appel ou en cassation », selon elle.

Une hypothèse que partage Fabien Marchadier. « Il faut reconnaître que juridiquement, accorder un préjudice animalier reste bancal, mais ça va dans l’air du temps, analyse-t-il. Depuis les années 1960, il existe le préjudice d’affection pour l’animal, indemnisable et totalement entré dans les mœurs aujourd’hui. Pourtant, la première décision, à l’époque, avait provoqué un véritable scandale. »