bévueAu procès Faïd, le statut de repenti ébranlé par une erreur

Procès de Rédoine Faïd : Après l’erreur, le statut de repenti au révélateur

bévueLa diffusion par erreur du visage d’un repenti lors de son témoignage à la barre a mis à jour les limites de ce statut, qui devrait être réformé avant la fin de l’année par l’exécutif
Octave Odola

Octave Odola

L'essentiel

  • Le procès aux assises de Paris sur l’évasion de Rédoine Faïd a été suspendu vendredi. La cause ? Le visage d’un accusé repenti a été montré par erreur au public jeudi soir. L’audience reprendra lundi matin.
  • Une enquête pénale va être ouverte. L’homme en question a changé d’identité il y a quelques années après avoir dénoncé Jacques Mariani, figure du grand banditisme corse, dans une affaire de double assassinat.
  • Quelles conséquences cette bévue peut-elle avoir sur la vie du repenti ? Sur le système en général ?

Un bug, un incident, un problème technique, appelez ça comme vous voulez, mais l’impensable s’est produit jeudi lors du procès de Rédoine Faïd, jugé devant la Cour d’Assises de Paris pour l’évasion de la prison de Réau (Seine-et-Marne) en 2018. Le visage de Marc*, un accusé caché derrière un paravent car il a changé d’identité après s’être confessé dans une affaire de grand banditisme corse, s’est affiché par erreur sur les écrans de retransmission destinés au public.

Avant cet impair, l’interrogatoire de Marc*, qui comparaissait libre, venait de débuter. Face à lui, dans le box des accusés, Jacques Mariani, un parrain du grand banditisme corse que le repenti soupçonne d’avoir participé à un projet d’évasion de Rédoine Faïd non lié à celui de Réau.

« Le système perd en crédibilité »

Après plusieurs minutes de flottement, l’audience a été suspendue, une enquête ouverte, et les portables vérifiés après l’annonce par la présidente qu’une photo du visage de Marc a été diffusée sur les réseaux sociaux. « Ce qui s’est passé est inadmissible », a déploré Me Clarisse Serre. Le conseil de l’accusé a précisé que la femme de ce dernier qui a également changé d’identité comme leurs trois jeunes enfants était « particulièrement inquiète ». L’audience a finalement été suspendue ce vendredi et reprendra lundi.

Ce qui laisse un long week-end pour réfléchir aux conséquences de ce fait inédit, mettant en cause le statut de repenti à la française. « Pour Marc*, c’est un désastre. Les candidats au programme de protection sont déjà minoritaires, mais là, le système perd en crédibilité », constate David Chiappini, chercheur à l’université de Nanterre, qui s’apprête à livrer une thèse sur la protection des témoins et des repentis en matière pénale.

D’autant que le système est en état de « crise existentielle », a fustigé Bruno Sturlèse en février dernier, comme l’a relayé Le Monde. En quittant la présidence de la commission nationale de protection et de réinsertion des témoins (CNRP), ce magistrat de la Cour de cassation a livré un constat accablant à l’exécutif. Gouvernance, fonctionnement, périmètre… Pour l’homme de droit, le dispositif, né de la loi Perben II en 2004 mais entré en vigueur en 2014, doit être repensé.

Un dispositif « critiquable, pas attractif et défaillant sur le plan juridique »

« Ce statut comporte deux volets. Un volet réduction ou exemption de peine, laissé à la discrétion des juges, précise David Chiappini. Et un deuxième aspect, lié à la protection. Sauf qu’il y a des contradictions dans le Code pénal entre les dispositions générales de Perben II et des dispositions spéciales, ce qui rend difficile l’application du système ».

Invoqué pour les affaires de criminalité organisée, de stupéfiants et de terrorisme, le statut ne peut en effet pas bénéficier à un « individu ayant participé à un projet criminel ayant entraîné la mort ou une infirmité permanente », rappelait Bruno Sturlèse en 2021 dans les colonnes du Monde. Ce qui, selon David Chiappini, rend dès l’origine le dispositif « critiquable, pas attractif et défaillant sur le plan juridique ».

En l’absence de communication officielle, il est difficile de se faire une idée précise du nombre exact de repentis bénéficiant d’un programme de protection. La fourchette pourrait se situer entre 10 et 50 personnes. Interpellé en mai dernier à l’Assemblée nationale par un député sur le sujet, le garde des Sceaux Eric Dupond Moretti a promis une réforme du statut de repenti à la française d’ici la fin de l’année, comme l’a rappelé France Info. Le dispositif « a le mérite d’exister mais est peu utilisé » a reconnu le ministre de la Justice, qui a dit s’inspirer pour la refonte de la loi de notre voisin italien, expert sur les sujets liés à la mafia.

« En France, nous n’avons pas forcément la culture du repenti. La méfiance subsiste, dans la société, mais aussi chez les politiques et les institutions judiciaires, conclut David Chiappini. Ça pourrait être un outil précieux de résolutions des affaires judiciaires à partir du moment où il y a des garanties qui sont instaurées, une meilleure cohérence juridique et opérationnelle du dispositif ainsi que des moyens financiers qui suivent.»

* Le prénom a été modifié