Droit de la presseLa « préoccupante » validation des perquisitions de la journaliste de Disclose

Disclose : « On ne peut pas utiliser les médias pour aller à la pêche et trouver des preuves »

Droit de la presseMercredi, un juge des libertés et de la détention a validé les saisies opérées au domicile de la journaliste Ariane Lavrilleux
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • La journaliste Ariane Lavrilleux, qui collabore avec le site d’investigation Disclose, a été placée pendant trente-neuf heures en garde à vue, entre mardi 19 et mercredi 20 septembre.
  • Une information judiciaire est en cours depuis juillet 2022, ouverte pour compromission du secret de la défense nationale et révélation d’information permettant de découvrir l’identité d’agents de renseignement.
  • Mercredi, un juge des libertés et de la détention a validé les saisies opérées à son domicile. Cette décision est-elle inédite ? Remet-elle en question le secret des sources ? Eléments de réponse avec l’avocat Richard Malka, spécialiste du droit de la presse qui représente notamment Charlie Hebdo.

«Ce soir, un juge vient d’autoriser une atteinte sans précédent à la protection des sources. » C’est ainsi qu’Ariane Lavrilleux a réagi à la décision d’un juge des libertés et de la détention de valider les saisies opérées à son domicile. La journaliste est au cœur d’une investigation pour « compromission du secret de la défense nationale et révélation d’information pouvant conduire à identifier un agent protégé ». En novembre 2021, le média d’investigation a publié une enquête sur l’opération militaire Sirli, en Egypte.

Cette dernière révèle, à partir de documents secret-défense, que le renseignement français est détourné par l’armée égyptienne et que l’Egypte utilise ces informations pour éliminer des cibles civiles qui font de la contrebande en revenant en pick-up de la Libye. En autorisant les enquêteurs à fouiller dans les effets personnels d’Ariane Lavrilleux, le juge remet-il en question le secret des sources ? S’agit-il d’une décision inédite ? 20 Minutes se penche pour vous sur la question grâce à l’éclairage de l’avocat Richard Malka, spécialiste du droit de la presse et représentant historique de Charlie Hebdo.

Cette décision est-elle inédite ?

« Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu connaissance d’un tel cas. C’est rarissime, voire inédit », réagit l’avocat Richard Malka, qui rappelle que les procédures judiciaires sont particulières lorsqu’elles concernent les journalistes. « Dans le cas des journalistes, comme des avocats d’ailleurs, il y a des contraintes très strictes en matière de perquisition. Un magistrat doit être présent et si la personne perquisitionnée s’oppose à la saisie d’un document quelconque, c’est un autre juge qui se prononce », explique le spécialiste du droit de la presse. La journaliste de Disclose s’est donc opposée à la saisie de nombreux documents qui ont été placés sous scellés.

Mais, d’après elle, « le juge a décidé de verser [au dossier] la quasi-totalité des pièces qui ont été saisies » notamment des « notes manuscrites » et « des mails ». Ce sont « sept pièces sur dix », précise le site d’investigation. « Le juge doit mettre en balance le secret-défense et le secret des sources », décrypte maître Malka. La loi française précise en effet qu’un journaliste ne peut en aucun cas être obligé à révéler sa source. Toutefois, les enquêteurs peuvent porter atteinte « directement ou indirectement au secret des sources » si un « impératif prépondérant d’intérêt public » le justifie. Une exception sur laquelle s’est appuyé le magistrat pour prendre sa décision et dont Reporters sans frontières demande la révision.

Pourquoi provoque-t-elle l’émoi ?

Le secret des sources est protégé en France et même considéré comme la « pierre angulaire de la liberté de la presse » par la Cour européenne des droits de l’homme. Et c’est justement tout ce qui se joue dans cette validation des saisies opérées chez la journaliste. « Condamner un journaliste pour diffamation n’a pas de portée pour toute la profession, empêcher la publication d’un livre sur un cas précis peut être une mauvaise jurisprudence mais ce n’est pas extrapolable. Mais l’atteinte au secret des sources, c’est l’atteinte la plus grave qui peut être faite à la fonction d’informer. C’est très préoccupant », note Me Malka. « C’est une décision absolument scandaleuse, très inquiétante (…) pour les journalistes et vous tous qui nous informez au quotidien sur des affaires sensibles qui touchent à la responsabilité de l’Etat », a d’ailleurs réagi Ariane Lavrilleux.

Car il est difficile de concevoir une liberté de la presse pleine et entière lorsque les sources ont peur de parler. Le 21 septembre, un ancien militaire qui semble être considéré par les enquêteurs comme l’une des sources du média Disclose a été mis en examen pour détournement et divulgation du secret de défense nationale. « Qu’un militaire qui a violé le secret-défense soit mis en examen, c’est prévu par la loi. Mais on ne peut pas utiliser les médias pour aller à la pêche et trouver des preuves ! Les journalistes ne sont pas des auxiliaires de police », glisse Richard Malka. « Si une source ne peut pas avoir l’absolue certitude d’être protégée, elle ne parlera plus », ajoute-t-il.

Quelles suites peut-on imaginer ?

« Vu l’enjeu, elle va probablement faire appel » de la décision de valider les saisies opérées à son domicile. « Si j’étais son avocat, c’est ce que je ferais », glisse Richard Malka, qui estime aussi qu’il faut « une mobilisation de la profession car elle est concernée dans son ensemble ». « Il faut passer à la vitesse supérieure en termes de mobilisation, il faut un sursaut général », martelait d’ailleurs Ariane Lavrilleux auprès de nos confrères du Monde mercredi soir.

Sur le volet judiciaire, difficile de savoir jusqu’où l’affaire ira. « Mais je pense que se prépare une bataille judiciaire sur des années », note l’avocat. En France, l’affaire pourrait se retrouver jusque devant la Cour de cassation. Mais il existe aussi une autre possibilité : celle qu’elle glisse sur le terrain européen car la Cour européenne des droits de l’Homme « est très protectrice sur la liberté d’expression et la liberté d’informer », rappelle Richard Malka. D’autant que Reporters sans frontières a profité du scandale pour ouvrir un débat sur la liberté de la presse en France et glisser des pistes d’amélioration législatives pour mieux la protéger.