Marseille : Cave, chalumeau, « charbonneur » … Tout comprendre au procès des quatre trafiquants accusés de torture
Procès•Quatre hommes, soupçonnés d’appartenir à un réseau de trafic de stupéfiants, sont jugés jusqu’à vendredi par la cour d’assises d’Aix-en-Provence. Ils sont accusés d’avoir séquestré et torturé un jeune venu de Chartres (Eure-et-Loir) « jobber »A.V. avec AFP
L'essentiel
- Quatre hommes, âgés de 22 à 30 ans, sont jugés jusqu’à vendredi par la cour d’assises d’Aix-en-Provence pour « enlèvement, séquestration avec torture ou acte de barbarie ».
- La victime, 16 ans à l’époque des faits, est un jeune venu d’une autre région de France avec l’espoir de gagner facilement de l’argent en travaillant dans un réseau de trafic de drogue.
- 20 Minutes fait le point sur ce procès illustrant le nouveau visage du trafic de stupéfiants à Marseille.
Le procès qui illustre le nouveau visage du trafic de stupéfiants à Marseille. Celui où des jeunes mineurs en errance, venus d’autres régions de France et attirés par les sirènes de l’argent facile, tombent prisonniers du réseau de trafic de stupéfiants qui devait les enrichir rapidement. La loi y est implacable. Au moindre écart, c’est brimades, violences ou tortures, lorsque ce n’est pas la mort au bout du chemin. Cette histoire à un visage, celui de Mathieu (appelons-le ainsi) séquestré et torturé au chalumeau la nuit du 12 au 13 août 2019 dans une cave d’une cité déshéritée de Marseille. Le procès de ses quatre agresseurs suspectés s’est ouvert à la cour d’assises d’Aix-en-Provence. Il doit durer jusqu’à vendredi. 20 Minutes fait le point.
Quel est ce procès qui s’est ouvert vendredi à Aix-en-Provence ?
Il s’agit du procès de quatre hommes jugés pour le lynchage de Mathieu, un jeune vendeur de drogue, en août 2019 dans la cité des Micocouliers, à Marseille. Le verdict est attendu le 15 septembre.
En novembre 2022, un autre des tortionnaires de Mathieu, jugé par la cour d’assises des mineurs, a été condamné à dix ans de prison pour « enlèvement et séquestration accompagnée de tortures et d’actes de barbarie ». Mathieu l’avait identifié comme celui qui lui avait fait prendre de force de la cocaïne. Les quatre accusés majeurs encourent la réclusion criminelle à perpétuité.
Qui est Mathieu ?
Mathieu est un prénom d’emprunt. Il a 16 ans en août 2019, lorsqu’il quitte Chartres (Eure-et-Loir) et son foyer d’aide sociale à l’enfance où il est placé depuis quelques mois pour gagner Marseille et rejoindre, comme petite main, le réseau de trafic de stupéfiants des Micocouliers (13e arrondissement). Il est recruté comme « charbonneur » (vendeur) et commence à travailler le 9 août.
Venu témoigner lundi après-midi au procès des quatre accusés de l’avoir torturé, le jeune homme a décrit une jeunesse passée de familles d’accueil en foyers et « une vie qui s’est arrêtée » depuis ce jour. « Il n’a jamais surmonté l’épreuve. […] Pour moi, sa vie s’est arrêtée au jour des faits […] plus le temps avance, et plus je vois qu’il s’enferme. On en est à un stade où il ne sort plus de chez lui », a déploré l’avocat, maître Xavier Torre.
Que s’est-il passé dans la cave ?
La cour a diffusé lundi matin des photos du jeune homme lors de son hospitalisation. On le voit les bras et le tronc intégralement couverts de bandages. Dans un autre cliché, où il apparaît partiellement dénudé, des dizaines de brûlures de cigarettes sont visibles. Des taches, rosâtres, plus larges sont caractéristiques de brûlures infligées sur de plus grandes surfaces. Avant d’être emmené « dans la cave », en l’espèce un local associatif désaffecté, Mathieu a été roué de coups par une dizaine d’individus. Il y est ensuite conduit et Mathieu est alors entièrement dénudé, attaché sur une chaise avec du câble électrique, frappé et brûlé avec une cigarette. « Dans la cave, il y avait beaucoup de monde, ils m’ont frappé, ils m’ont fait sniffer de la coke », raconte-t-il.
Au milieu de la nuit, alors qu’il a les yeux bandés, deux « grands » lui annoncent qu’il va mourir. « Ils m’ont brûlé les parties génitales. […] Je hurlais de douleur. » Son calvaire prend fin après cette nuit de tortures lorsque deux « grands » le conduisent à l’hôpital.
Pourquoi les quatre hommes ont-ils torturé Mathieu ?
Le milieu du trafic de stupéfiants est impitoyable. Mathieu a été séquestré et torturé pour avoir « bafoué » une « loi » des réseaux : sur leur terrain, personne d’autre n’est autorisé à vendre de la drogue. Il faut pour comprendre remonter à sa prise de fonction le 9 août. Rapidement, il est interpellé mais parvient peu avant à planquer le contenu de sa sacoche : 15 grammes de cocaïne et dix barrettes de shit. Conduit devant un juge des enfants, il est placé en foyer dans l’attente de son retour jusqu’à Chartres, accompagné d’un éducateur. Il fugue, récupère la drogue cachée et, le 12 août, tente de la revendre au pied du bâtiment A6 de la cité Félix-Pyat, mais sans l’autorisation des responsables de ce haut lieu du trafic à Marseille.
Notre dossier sur les règlements de comptes à MarseilleQui sont les quatre accusés ?
Trois des quatre accusés, âgés de 22 à 30 ans, ont affirmé qu’ils étaient innocents et le quatrième a déclaré : « Je reconnais les coups en dehors du local, mais je n’ai rien à voir avec ce qui s’est passé ensuite. » Lors de l’étude de leurs personnalités, ils ont raconté des périodes d’enfance difficiles, des situations de décrochage scolaire. Plusieurs témoins ont été entendus, dont le frère d’un des jeunes hommes qui a affirmé à la barre : « La cité, ce n’est pas une excuse. » Il est « entré dans un effet tunnel » à cause de ses fréquentations, a-t-il regretté. Une conseillère en insertion s’est exprimée au sujet d’un autre des accusés, insistant sur le fait que ce jeune homme « ne vient pas d’un quartier favorisé, ni d’une famille favorisée ».