PROCES« Je suis un drogué de liberté »... Rédoine Faïd justifie son évasion

Evasion de Rédoine Faïd : « Je suis un drogué de la liberté », reconnaît l’ex-fugitif face à la cour

PROCESAu troisième jour du procès de Rédoine Faïd pour son évasion de la prison du Réau, en 2018, la cour l’a longuement entendu sur sa vie, passée en grande partie derrière les barreaux
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Rédoine Faïd est jugé depuis mardi et pour sept semaines pour son évasion en hélicoptère de la prison du Réau, le 1er juillet 2018. Le braqueur multirécidiviste encourt la perpétuité.
  • Ce vendredi, l’homme âgé de 51 ans est longuement revenu sur sa vie et son parcours criminel. « Je suis entré dans un engrenage », explique-t-il.
  • Il a demandé pardon à sa famille. Parmi les onze autres accusés jugés pour cette évasion, figurent deux frères de Rédoine Faïd et trois de ses neveux.

A la cour d'assises à Paris,

Rédoine Faïd a une addiction. « Je suis un drogué de la liberté, je l’assume et ça me consume, je n’arrive pas à guérir », confesse ce vendredi, devant la cour d’assises de Paris, le braqueur multirécidiviste de 51 ans au crâne et à la barbe rasés. C’est même la raison pour laquelle il se trouve dans le box des accusés. Depuis mardi et jusqu’au 20 octobre, il est jugé pour son évasion en hélicoptère de la prison de Réau, en Seine-et-Marne, le 1er juillet 2018. « Cet appel de liberté que j’ai, cette envie de survie, a eu des conséquences sur beaucoup de gens. » Parmi les onze autres personnes accusées, figurent deux de ses frères aînés et trois neveux. Sa voix s’étrangle en leur demandant pardon. « Je prendrais mes responsabilités de A à Z », insiste-t-il.

L’homme, qui a gardé le silence tout au long de l’instruction, semble ce vendredi bien décidé à parler. Rédoine Faïd a passé vingt-trois des vingt-cinq dernières années derrière les barreaux, principalement à l’isolement. Alors forcément, lorsqu’il est invité par la présidente, Frédérique Aline, à dérouler le fil de sa vie, c’est par là qu’il commence. Son entrée dans la délinquance peu après le décès de sa mère, en 1990. Il a alors 18 ans. Malgré la présence de ses frères et sœurs, il plonge irrémédiablement. Des vols, d’abord, puis rapidement des braquages. Bijouterie, supermarché, agence bancaire… En 1997, il commet sa première attaque de fourgon blindée. Pour la préparer, il regarde en boucle Heat, de Michael Mann, et copie le scénario. « Je suis entré dans un engrenage qui a engendré une spirale, j’ai pas réussi à me sortir de ça, souffle-t-il. Les gens pensent qu’il y a un bouton on/off. C’est plus compliqué. Je suis responsable, mais les événements vous submergent. »

« Je prends 40 siècles »

Après avoir joué au chat et à la souris avec les autorités pendant près de trois ans, l’homme est interpellé en Suisse en 1998. Et tente, pour la première fois, de fausser compagnie aux policiers. En vain. Rédoine Faïd est incarcéré pendant dix ans. Mais rêve déjà de l’extérieur. En 2005, le braqueur est condamné à trois ans de détention pour un projet d’évasion de la prison de Saint-Maur. « Si on prend toutes les discussions que j’ai eues sur des évasions, je prends 40 siècles », sourit le « roi de la belle ». En 2009, il obtient finalement une libération conditionnelle. Il s’installe alors chez celle qui deviendra brièvement sa femme, s’occupe du fils de celle-ci comme si c’était le sien, trouve un travail. Il publie même un livre pour raconter son passé de braqueur, fait le tour des plateaux télé et crie à qui mieux mieux qu’il a changé. Mais en 2011, il tombe à nouveau, soupçonné d’avoir pris part à un braquage qui a coûté la vie à une policière municipale, en 2010.

Rédoine Faïd n’est pas un taiseux. Ce vendredi, il se montre même particulièrement prolixe. Lui qui n’a vu quasiment personne depuis cinq ans s’exprime avec aisance, parle avec les mains, multiplie les anecdotes. Jusqu’à ce que la présidente déroule son casier judiciaire qui comporte dix condamnations. Sans même compter cette affaire, Rédoine Faïd n’est pas libérable avant 2046. Il raconte les conditions qui se durcissent au fil des peines. Il s’agace, invective, pointe du doigt. « Je suis dans un sarcophage en béton, emmuré 23 heures sur 24. C’est "tu respires et tu fermes ta gueule" », s’emporte-t-il. Il dénonce un traitement spécial, assure être considéré par l’administration pénitentiaire comme « la plus grande des crapules » alors qu’il n’a pas de sang sur les mains [il n’a jamais été condamné pour des crimes de sang].

« J’ai mis mes baskets aujourd’hui »

A l’en croire, c’est parce qu’il n’a pas obtenu le transfert qu’il espérait qu’il s’est évadé de la prison de Lille-Sequedin. C’était en avril 2013. Il a fait exploser cinq portes et pris en otage quatre gardiens. Il sera interpellé un mois plus tard. Ses conditions sont encore durcies mais ça ne l’empêche pas de s’évader cinq ans plus tard du Réau, un centre pénitentiaire récent et ultra-sécurisé. « Vous vous rendez compte que vous êtes responsables de vos conditions de détention ? », l’interroge l’avocat général. Si Rédoine Faïd comprend son placement à l’isolement, il dénonce la durée de celui-ci et jure qu’il ne se serait pas évadé s’il avait eu un régime de détention classique, s’il avait pu voir d’autres détenus. « L’ennui provoque l’évasion », insiste-t-il.

Aujourd’hui, il est un des détenus les plus surveillés de France. Il est, par exemple, l’un des seuls à ne pas pouvoir toucher ses proches lors des parloirs, une vitre les séparant. Et ce procès est aussi sécurisé que celui du 13-Novembre, qui se tenait dans la même salle. L’envie de se faire la belle est-elle toujours là ? A la présidente qui l’interroge, il dit regretter son évasion tout en reconnaissant que « ça passe par période dans la tête ». Puis Rédoine Faïd la regarde, l’œil malicieux. « J’ai mis mes baskets aujourd’hui, hein… On sait jamais. J’ai remarqué que vous éteignez parfois la lumière. Quand elle s’allume pouf, je suis plus là. » La présidente goûte très peu la boutade. La trentaine de gendarmes présents dans la salle encore moins.