La GRANDE EVASIONAprès son évasion extraordinaire, la cavale ordinaire de Rédoine Faïd

Procès de Rédoine Faïd : Après son évasion spectaculaire, une cavale très ordinaire

La GRANDE EVASIONAprès s’être évadé en hélicoptère de la prison du Réau, en Seine-et-Marne, Rédoine Faïd se terre près de Creil, sa ville d’origine. Il faudra plus de quatre mois aux policiers pour le localiser
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Rédoine Faïd est jugé à partir de ce mardi pour son évasion rocambolesque de la prison du Réau, le 1er juillet 2018. Il encourt la perpétuité.
  • Après s’être évadé par hélicoptère, il était resté 93 jours en cavale avant d’être interpellé à Creil, près de là où il a grandi.
  • Onze autres personnes sont jugées dans ce dossier, soupçonnés d’avoir aidé le fugitif. Ils encourent entre dix et trente ans de réclusion.

Il y a des retours de vacances plus doux que d’autres, qui vous laissent le temps d’atterrir et de reprendre sereinement. Et il y a ceux qui vous emportent dans un véritable tourbillon, balayant en un claquement de doigts les bienfaits de quelques jours de repos. Ce 1er juillet 2018, lorsqu’il rentre de ses congés annuels, le commissaire Christophe Foissey, qui dirigeait alors la brigade nationale de recherche des fugitifs (BNRF), n’imagine pas que le sien sera de cet acabit. Peu avant midi ce dimanche-là, son adjoint l’appelle. Il n’est pas de permanence mais l’information ne peut attendre : Rédoine Faïd vient de s’évader de la prison du Réau, en Seine-et-Marne. Encore. Cinq ans auparavant, sa brigade l’avait déjà traqué après qu’il s’était fait la belle d’un autre centre pénitentiaire, celui de Lille-Sequedin, en faisant exploser cinq portes. Cette fois-ci, il a faussé compagnie aux surveillants en hélicoptère.

>> Retrouvez notre premier épisode: Comment le braqueur s’est évadé en hélicoptère sous les yeux impuissants des surveillants

« Mon premier sentiment, ça a été la sidération. On savait bien que Rédoine Faïd était un malfaiteur chevronné, il l’avait déjà prouvé, mais de là à s’évader du Réau, qui est considéré comme l’une des prisons les plus sécurisées… », se remémore le commissaire alors que s’ouvre, ce mardi, le procès de cette évasion rocambolesque. Onze autres personnes, parmi lesquelles deux frères et deux neveux de Rédoine Faïd, sont jugées à ses côtés, soupçonnées d’avoir apporté, à divers degrés, une aide au fugitif. Mais pour que ce procès puisse se tenir, il a fallu s’armer de patience pour retrouver la trace du célèbre braqueur. « On connaissait bien Rédoine Faïd, donc on savait que ça allait être difficile. On a travaillé nuit et jour, week-end compris, pendant quatre mois, poursuit Christophe Foissey. Mais on avait un avantage : ce n’était pas un inconnu, on ne partait pas de rien, on connaissait ses habitudes. »

Un étrange pic-nic en forêt de Creil

La brigade - une vingtaine de policiers - travaille rarement sur des cas de flagrant délit : d’ordinaire, les fugitifs recherchés sont choisis selon leur profil, l’urgence n’est pas dans son ADN. Heureusement, quelques mois auparavant, le BNRF a eu un exercice grandeur nature après l’évasion, à Brest, d’un fiché S. Tous les dossiers sont immédiatement mis en suspens et trois équipes se forment : l’une travaille sur la téléphonie, l’autre ratisse l’environnement du suspect - ses relations amicales, familiales et criminelles –, la dernière épluche les renseignements qui affluent. La précédente cavale de Rédoine Faïd est également passée au peigne fin dans l’espoir d’établir des concordances. En parallèle, la PJ de Versailles cherche à identifier les complices, à commencer par les trois hommes à bord de l’hélicoptère.

La trace du commando a été perdue à 12h11 alors que leur véhicule filait sur l’A1, moins d’une heure après l’évasion. Il sera retrouvé calciné, comme l’hélicoptère et le premier véhicule emprunté. Rédoine Faïd file-t-il vers l’étranger ? Rejoint-il des complices ? A-t-il une planque ? Le 9 juillet, les enquêteurs obtiennent de premières réponses à leurs questions. Et ce, grâce à une découverte fortuite d’un chasseur dans la forêt d’Hallate, à Creil.

Ce jour-là, en début d’après-midi, Robert * a pris place dans l’un des miradors. Il espère observer du gibier mais aperçoit, près d’un bosquet, une large couverture, une pelle, une pioche… autant d’éléments qui lui font penser à une scène de crime. D’autant que deux jours auparavant, alors qu’il avait pris position peu avant 5 heures du matin sur le même mirador, il a vu, au même endroit quatre ou cinq silhouettes, porteuses de gros cabas. L’une d’elles s’est approchée de lui – il a reconnu un gamin du quartier – lui assurant qu’ils faisaient… un pic-nic. Drôle d’horaire pour un casse-croûte.

Cavale de proximité

Cet après-midi du 9 juillet donc, Robert attend l’arrivée d’un ami pour s’approcher. Sur place, point de cadavre, mais les deux hommes ont conscience que ce qu’ils viennent de trouver n’a rien de normal. Ils préviennent les gendarmes locaux, qui déterrent deux kalachnikovs, des chargeurs, des centaines de munitions, des gilets pare-balles… et une découpeuse thermique, du même type que celle qui a permis au complice de Rédoine Faïd de découper quatre portes de la prison du Réau. A Creil, l’évasion du braqueur multirécidiviste n’est pas passée inaperçue. Et pour cause : la famille Faïd a habité dans l’une des cités de cette ville modeste. Rédoine est l’avant-dernier d’une fratrie de dix. Leur père est rentré en Algérie alors qu’il était encore un enfant, leur mère est un peu dépassée, mais les frères et sœurs sont restés très unis. Même lorsque Rédoine multiplie les vols puis les braquages, la fratrie est présente pour lui.

Soupçonnant que la découverte a un lien avec la cavale, les gendarmes préviennent leurs collègues. Ce butin confirme deux intuitions des enquêteurs : Rédoine Faïd est resté dans la région et s’appuie sur son cercle familial. L’ADN de son frère aîné, Rachid, et de deux de ses neveux, Ishaac et Haroune Herizi, sont relevés sur les objets. « Comme lors de sa première cavale, l’évasion est très professionnelle, on sent qu’il a passé des jours et des jours à repérer la moindre faille. Mais la suite l’est beaucoup moins, c’est plus brouillon. Cette découverte confirme le fait qu’il n’a probablement pas l’assise financière pour partir à l’étranger », note le commissaire Christophe Foissey. Tous les spécialistes en conviennent : une cavale coûte cher.

« C’était presque un défi, on ne voulait pas le laisser s’échapper. »

Pour financer celle-ci, les enquêteurs ont acquis la certitude que le clan Faïd a approché Jacques Mariani, le fils du fondateur du gang corse de la Brise de Mer. Une première rencontre entre Rachid Faïd et un proche du parrain corse a lieu dès mars 2017, soit 16 mois avant l’évasion. Selon cet intermédiaire, le braqueur de Creil aurait proposé d’éliminer des ennemis de Mariani en échange d’une participation financière. Un second rendez-vous avec le parrain corse se tient quelques semaines plus tard. Tout au long du second semestre 2017, des textos sont échangés, mais l’affaire patine. Rédoine Faïd, qui se trouvait alors à Fresnes, est transféré au Réau - le plan initial doit donc être repensé - et Jacques Mariani est empêtré dans des affaires de règlements de compte. « Aucun élément n’est venu étayer la persistance de son association dans le projet d’évasion », notent les juges d’instruction. Le Corse, lui, n’a eu de cesse de nier toute implication.

Retour en juillet 2018. La chasse à l’homme bat son plein. A la BNRF, la tension est maximale. « Personne ne nous mettait la pression, on se la mettait tout seul, se souvient Christophe Foissey. C’était presque un défi, on ne voulait pas le laisser s’échapper. » Rédoine Faïd a pourtant bien failli se jeter seul dans la gueule du loup. Deux semaines après la découverte de la cache d’armes, une patrouille de gendarmerie du Val-d’Oise aperçoit une voiture garée sur une bande d’arrêt d’urgence à Piscop. Le passager semble observer un bâtiment derrière le grillage. Lorsque les gendarmes s’approchent pour le contrôler, l’homme saute dans la voiture et celle-ci repart en trombe. Une course-poursuite s’engage mais les fuyards sont pris dans le trafic. Les militaires tentent de les maîtriser à pied mais le véhicule redémarre. Il est rapidement retrouvé dans le parking d’un petit centre commercial de Sarcelles. Les occupants ont pris la fuite à pied sans même prendre la peine de couper le moteur. Dans le coffre, entre un jerrican d’essence, des duvets et un téléphone, des détonateurs et des mèches sont découverts.

Le véhicule abandonné dans un parking de Sarcelles
Le véhicule abandonné dans un parking de Sarcelles - GEOFFROY VAN DER HASSELT

Des milliers de lignes téléphoniques passées au crible

La vidéosurveillance ne laisse pas de doute : ce sont bien Rédoine Faïd et son frère Rachid qui étaient dans le véhicule. Certes, ils ont encore filé entre les doigts des policiers, mais pour les enquêteurs, cela ne fait pas de doute, ils sont aux abois. En parallèle, les investigations se poursuivent, pas question de compter sur le hasard pour les interpeller. Et si en 2013, la BNRF a pu compter sur un bon tuyau pour le localiser, là, tous se révèlent faux. Il faut donc passer au crible des milliers de lignes téléphonique dans le but d’identifier celles de son entourage. Rédoine Faïd, en vieux briscard du banditisme, est très prudent, son téléphone est tout le temps éteint.

L'appartement dans lequel a été interpellé Rédoine Faïd
L'appartement dans lequel a été interpellé Rédoine Faïd - AFP

Peu à peu, l’étau se resserre. Creil. Quartier du Plateau. Et enfin un immeuble précis. En planque devant, les policiers remarquent deux personnes en burqa. Elles sont grandes et costauds. Et la taille de leurs pieds interpelle. Ils soupçonnent Rédoine Faïd et un de ses neveux, Ishaac Herizi, d’être dissimulé sous ces tenues. « On n’a pas de certitude mais une forte présomption », précise le commissaire Christophe Foissey. Peu après 4 heures, le feu vert est donné pour l’interpellation. Deux appartements sont ciblés. Le premier, au rez-de-chaussée, est une erreur. Le second est situé au 4e. Rédoine Faïd est cueilli dans son lit, un revolver au pied de celui-ci. Rachid Faïd et Ishaac Herizi – dont les enquêteurs sont persuadés qu’ils faisaient partie du commando de l’hélicoptère - sont interpellés dans la pièce d’à côté.

Pour cette nouvelle évasion, le braqueur de Creil risque la perpétuité. « Il reste combatif et compte bien se défendre malgré les conditions de détention qu’il subit, confie l’un de ses avocats, Me Yves Leberquier. Il espère surtout que ce procès sera juste, au-delà de son image et de sa notoriété. » Mais quel que soit le verdict, Rédoine Faïd sait que compte tenu de ses condamnations passées, il n’est pas libérable avant septembre 2046.

Retrouvez demain mardi sur 20 Minutes l’interview complète de Christophe Foissey, qui dirigeait à l’époque la brigade nationale de recherche des fugitifs (BNRF)…