Procès Fortin : « On attend une peine exemplaire », clame la famille de l’une des victimes du « tueur de DRH »
ASSISES•Gabriel Fortin, ingénieur au chômage, est jugé à partir de mardi devant les Assises de la Drôme pour avoir tué trois personnes en janvier 2021, dont Patricia Pasquion, conseillère au Pôle emploi de Valence
Caroline Girardon
L'essentiel
- Surnommé le « tueur de DRH », Gabriel Fortin sera jugé à partir de ce mardi devant la cour d’assises de la Drôme pour avoir assassiné trois personnes les 26 et 28 janvier 2021, et tenté de tuer une quatrième, dans le Haut-Rhin, l’Ardèche et la Drôme.
- Parmi les victimes de cet ancien ingénieur au chômage, Patricia Pasquion, 54 ans, était conseillère à l’agence Pôle emploi de Valence.
- S’agit-il d’une victime « symbolique » ? Dans le dossier, rien ne permet d’établir que l’accusé, nourri de rancœur, avait déjà croisé sa route, onze ans plus tôt.
- A la veille du procès, 20 Minutes a pu s’entretenir avec deux sœurs de Patricia Pasquion.
«Pourquoi il s’en est pris à elle ? » Depuis plus de deux ans, cette question la hante. A la veille du procès de Gabriel Fortin, surnommé le « tueur de DRH », Marie-Hélène Givet cherche toujours des réponses. Sa sœur, Patricia Pasquion, qui « vouait sa vie aux autres », est décédée le 28 janvier 2021. Elle fait partie des trois victimes assassinées par l’intéressé au terme d’un périple sanglant l’ayant mené dans le Haut-Rhin, la Drôme et l’Ardèche.
Il était un peu moins de 9 heures lorsque l’accusé est entré dans les locaux de l’agence Pôle emploi de Valence (Drôme). Coiffé d’une casquette et le visage en partie protégé par un masque chirurgical, il s’est présenté sous une fausse identité pour se diriger rapidement vers le bureau des réclamations. Et dans un « silence effroyable », il a tiré de sang-froid sur la victime, touchée en plein thorax. Patricia avait 54 ans.
« Qu’est-ce qu’est venue faire ma sœur dans ce parcours-là ? Était-elle réellement sa cible ? A-t-elle été tuée pour ce qu’elle représente ? » s’interroge sans cesse Marie-Hélène, dont les cheveux blonds frisés sont noués en chignon. Dans ce dossier-là, rien ne permet d’établir que Fortin, ingénieur au chômage depuis une dizaine d’années, a pu croiser sa route par le passé, comme c’est le cas pour les autres victimes. Patricia, conseillère qui gérait les dossiers d’indemnisations et de contestations, n’était pas chargée de son suivi. L’avait-elle reçu un jour, il y a plus de onze ans ? Là encore, aucun document ne l’indique. Aucune trace d’un quelconque contentieux, non plus.
Une « haine institutionnelle » ?
« Est-ce par hasard ? », questionne à son tour Catherine Ribuot, une autre sœur de la victime. Seulement voilà, Gabriel Fortin reste mutique sur le sujet. Pas une once d’explication livrée à la juge d’instruction et aux enquêteurs. Pas un mot soufflé aux psychiatres depuis deux ans. L’homme garde le silence, préférant ruminer ses frustrations et étaler sa rancœur dans ses carnets intimes, où il parle de lui à la troisième personne. « Il a beaucoup écrit avant de passer à l’acte. Nous devons comprendre comment cet homme a mis en place ce projet mûri depuis des années. Comment s’est fait ce basculement vers le passage à l’acte meurtrier ? », souligne Hervé Gerbi, l’avocat des trois sœurs de la victime. Et de poursuivre : « S’agissait-il d’une haine personnelle à l’égard de Patricia Pasquion ou était-ce une haine institutionnelle ? Qu’est-ce qu’il s’est passé dans sa tête ? »
Des aveux, la famille n’en attend pourtant guère. « Je me prépare à ne pas avoir de réponses, il va falloir se faire une raison, souffle Catherine. Mais on ne va pas le supplier. Il se considère comme supérieur aux autres. L’implorer ne ferait que le conforter dans sa posture. On ne lui donnera pas ce plaisir. » « Ce silence traduit avant tout un manque de courage, analyse Marie-Hélène. De toute façon, il agit comme un lâche depuis le départ. Il est venu armé devant une femme pour avoir cette toute-puissance et il ne lui a même pas donné la possibilité de s’exprimer. »
Une mère de famille « altruiste » et « fidèle en amitié »
« On peut penser perdre quelqu’un par accident. Mais la façon dont Patricia est décédée, c’était inenvisageable », poursuit-elle. « Pas habituées », les deux sœurs se préparent désormais au procès afin de pouvoir regarder l’accusé « droit dans les yeux ». Et de « garder en tête » qu’il s’agit avant tout de rendre justice à Patricia, « et non de l’affaire Fortin ou du tueur de DRH ». Derrière « la conseillère Pôle emploi », il y avait une « mère de famille, une épouse », une personne « altruiste », rappellent-elles.
« Elle faisait toujours passer les autres, que ce soit ses enfants ou sa famille, avant elle, raconte Catherine, très émue. Elle était fidèle en amitié. On ne l’entendait jamais se plaindre. Elle n’avait pas l’habitude de parler d’elle et si elle faisait, c’est que ça lui pesait vraiment. » Ses derniers temps, lorsque la famille se regroupait pour les grandes occasions, Patricia avait néanmoins abordé les difficultés au travail avec une certaine pudeur. Les « incivilités » pour ne pas dire les insultes ou les agressions physiques. La quinquagénaire avait déjà reçu des menaces de mort. Pendant un certain temps, son époux venait spécialement la chercher au travail pour éviter qu’un drame ne se produise.
« Pôle emploi savait très bien que cela allait arriver »
« On savait que cela allait arriver un jour ou l’autre et c’est tombé sur ma sœur, se désole Catherine. Pôle emploi le savait très bien mais rien n’a été fait pour la sécurité des agents. » « Face à cette problématique prégnante de recrudescence de violence, l’employeur aurait dû prendre des mesures de sécurité, pointe à son tour Hervé Gerbi. Mais lorsque Patricia Pasquion est décédée, ces mesures n’existaient pas. Rien n’avait été mis en place à l’entrée de l’agence. Si un vigile avait été posté, Gabriel Fortin n’aurait pas pu rentrer aussi aisément avec son revolver à peine dissimulé dans un sac plastique. »
Si les deux sœurs envisagent de porter plainte contre Pôle emploi pour homicide involontaire, l’agence d’État se retrouvera dans ce dossier sur le banc des parties civiles. Quant à l’accusé, il risque la réclusion criminelle à perpétuité. « J’espère qu’il écopera au moins d’une peine incompressible de trente ans. Cela ne réparera pas toutes les souffrances mais on ne veut pas qu’il puisse un jour ressortir de prison », conclut Marie-Hélène, épaulée par sa sœur.